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Bertrand | TILLIER

A la fin du XIXe siècle Gabriel Robuchon (1874-1955), dit Mérovak, s’inventa en « Homme des cathédrales ». Cet excentrique, qui se déguisait en courtisan de Louis XIII, vécut dans les tours de Notre-Dame de Paris et s’installa à Rouen, Redon, Langres ou au Mont-Saint-Michel, dont il prétendit conduire la défense face aux vandales ou aux indifférents. Organiste médiumnique, carillonneur du Vieux-Paris reconstitué à l’Exposition universelle de 1900, fou d’architecture gothique, Mérovak parcourut la France pour y présenter des conférences de lanterne magique. Sa propagande gothique fut son œuvre, qu’en homme de l’image et du texte il promut entre symbolisme et patrimoine, par son sens de la publicité et par sa connaissance de la presse et de l’édition, non loin de Huysmans, Rodin ou Barrès.

 

Historien de l’art, Bertrand Tillier est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre d’histoire du XIXe siècle (UR 3550) qu’il codirige. Ses travaux portent sur l’histoire de la culture visuelle, l’histoire des médias et l’histoire du patrimoine. Dernier livre paru : Dérégler l’art moderne, De la caricature au caricatural (Hazan, 2021).

Mérovak l'homme des cathédrales

Rêver la société pour la changer en cité idéale et participer à l’avènement d’un monde nouveau. Ce fut le désir de nombreux artistes, qui ne furent pas tous des figures d’avant-garde. Cette ambition a parcouru tout le XIXe siècle, mais elle occupa une place singulière et méconnue sous la IIIe République, entre le souvenir de la Commune de Paris et l’Union sacrée de la Grande Guerre. Portrait collectif d’une génération de peintres et sculpteurs du Paris fin-de-siècle, le livre examine le rôle et la fonction d’artistes tels Rodin, Luce, Pissarro, Gallé, Gérôme, Toulouse-Lautrec, Signac, Prouvé ou Guitry. Convaincus de la performativité de leurs œuvres, ils s’érigèrent en bâtisseurs d’art et réinventeurs de l’histoire, en fondateurs d’un art social et combattants de la vérité.

L’affaire Dreyfus a favorisé l’avènement de la figure de l’intellectuel et de ses modes d’intervention dans la vie politique. Assimilés à cette catégorie, les peintres, sculpteurs, graveurs et autres producteurs d’images ont joué un rôle décisif dans le cours de l’Affaire, où leur magistère a été symétriquement revendiqué par les dreyfusards et les antidreyfusards.
Ce livre propose d’interroger les rapports spécifiques de la communauté des artistes et de leur œuvre avec cette crise politique et morale majeure, qui avait jusqu’alors peu retenu l’attention de l’historiographie. Les calculs de Rodin, la frilosité de Maurice Denis, l’antisémitisme de Degas, la fébrilité d’Henry de Groux, le militantisme du dreyfusard Émile Gallé ou l’activisme du sculpteur nationaliste Jean Baffier sont quelques-uns des parcours d’artistes documentés et étudiés par l’auteur. Mais, au fils des pages, se dessinent aussi des portraits de Caran d’Ache, Forain, Monet, Carrière, Vallotton, Pissarro, Vuillard, Vlaminck ou Cézanne qui furent des acteurs importants de l’Affaire.

Aucune révolution n’aura entretenu de relations aussi compliquées avec ses images, ses représentations et ses artistes, que la Commune de Paris — dès 1871 et jusqu’à la veille de la Grande Guerre. Qu’il s’agisse de peintures et de sculptures, de photographies et de gravures de presse ou encore de caricatures, étudiées dans cet ouvrage, l’image produite en regard de la Commune paraît en permanence échouer à représenter les événements du printemps 1871, sur le vif comme à retardement, au plus fort de l’événement comme dans sa mémoire. La Commune semble toujours parvenir à se soustraire à sa représentation, tant chez les artistes favorables à sa cause — le sculpteur Jules Dalou et les peintres Gustave Courbet, Édouard Manet ou Maximilien Luce —, que chez ceux qui en furent des ennemis déclarés —les peintres Ernest Meissonier, Jean-Paul Laurens ou Jean-Baptiste Carpeaux.
Les tentatives des artistes furent souvent vaines et restèrent lettre morte. Dans les œuvres consacrées en petit nombre à la Commune de Paris, les dispositifs et les visions portent la marque de cet échec, successivement frappés par les interdits de la censure institutionnelle, les tabous de l’autocensure que s’imposèrent les artistes et l’oubli posé comme condition nécessaire à l’amnistie de 1881, assourdissante et aveuglante.
Rejetées de l’art, par le statut des représentations considérées comme inabouties ou triviales et par le sort infligé à la plupart des artistes condamnés, inquiétés ou censurés, tout autant que durablement expulsées de la mémoire de la France républicaine, les images de la Commune furent marginalisées dans les milieux militants anarchistes, socialistes révolutionnaires et communistes. Entre histoire politique, histoire culturelle et histoire de l’art, cet ouvrage tente d’expliquer les raisons de cette entreprise d’occultation.