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ÉLISABETH CROUZET-PAVAN Venise : une invention de la ville XIIIe–XVe siècle

Surgie de l’eau et de la boue, au cœur des lagunes, Venise a été l’objet d’un façonnement et d’un soin jaloux et quotidien qui n’ont connu aucune trêve. Car il fallait mener dans un site fragile, que l’on pensait providentiel, la défense contre les périls des eaux saumâtres au milieu desquelles les hommes s’étaient tôt installés. Sans cesse des pilotis furent enfoncés et remplacés, des digues élevées et renforcées, des canaux creusés et curés, de la terre charriée et amassée pour conquérir toujours plus d’espace. Le travail de création vénitienne fut aussi un immense effort et une longue oeuvre de construction de ponts et de quais, de palais et d’églises, de maisons et d’entrepôts… De la sorte, jour après jour, année après année, la ville a été inventée, dans un mouvement toujours continué qui tendait vers l’élaboration d’une beauté formelle ; par cette exigence de théâtralité monumentale, il s’agissait de mettre en représentation l’imaginaire d’une grâce divine. Mais Venise, aux derniers siècles du Moyen Age, ne fut pas qu’un décor de pierres et de briques : elle a été aussi façonnée par les pas, les postures et les mots des hommes. Et fut ainsi modelée une culture urbaine dévoilant les rapports que les Vénitiens entretenaient avec leur histoire. C’est cette invention de Venise qui est ici reconstituée jusqu’au moment où, vers 1500, elle semble atteindre une plénitude.

Venise : une invention de la ville (Élisabeth Crouzet-Pavan – 1996)