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STÉPHANE BOUQUET Vie commune

Ce livre pose une question simple qui peut se dire de plusieurs façons: qu’est-ce que vivre ensemble ? et comment s’y prendre ? Quelles sont, aujourd’hui, les utopies (amoureuses, amicales, collectives) à notre disposition pour refonder un espoir commun ?
Ce livre pourrait sembler fourre-tout : il contient trois poèmes, une pièce de théâtre, trois récits. Mais son projet est plutôt de dire qu’il n’y a pas besoin, ni de raison, de tailler des territoires trop précis et étanches, des spécialités impénétrables. La porosité est l’idéal ici défendu : la frontière souple ou flexible, la limite qui n’en est pas une.

Lire un extrait

EN GUISE D’EXCUSE

Je médite un petit poème sur celui qui voulait savoir quels cachets j’avalais
la nuit. « Je prends des cachets de contr’absence. » Il est assis tout près oh j’adorerais
écrire une tristesse de plus sur l’inaccessible abri des épaules. Bien sûr
un ami m’a généreusement averti par mail de la substance un tantinet
narcissique de mes tactiques d’approche. Pas la peine alors le matin orageux
à Vienne, les acacias nous visaient directement dessus, ni la boîte
de prostitués bulgares, la nuit d’avant, quand nous avions dansé tout
près des corps parfois mineurs de l’humanité. Pas la peine et rien qui
concerne l’avenir de vivre ? Possible mais d’un autre côté écoute mes troubadours
intérieurs je les entends crier oc oc de plaisir chaque fois que je chante
ma moindre dame particulière. Lui, par exemple. Il provoque simplement
les vibrations accélérées du monde et nous offre un hiver plus profond : regardez
les arbres de la cour nus et droits dans leur écorce et la durée. C’est comme
d’entrer dans une saison attisée par le besoin : il n’est pas sûr que les trottoirs
garantissent l’équilibre mais si on se débrouille bien son visage nous servira
de déambulateur dans les rues. Qui a dit « toute existence n’est que la déclinaison
des corps » ? Personne peut-être. Pourtant c’est vrai, toutes
essaient
d’arracher des bribes à l’étreinte. Mettons une alouette soulève un ver de terre
et tu soulèves le bras de quelqu’un et lui sens l’aisselle et la suite se répand aussitôt
quand à force de déductions ou inductions même demain reverdit et nous devient
approximable. Lui, par exemple, dont il ne reste que le visage de loin,
j’apprends à respirer en absence et sous poumons différés. Au reste, ce matin
un chercheur expliquait à la radio qu’on savait déjà bio-photocopier 3-D
des lambeaux de peaux et des bouts de cornée, alors laisse-moi seulement
photocopier ton corps et je promis laisserai en paix l’original. De toute façon
mes amis j’écris de moins en moins de poésie. J’ajoute juste des mots à des jours
en espérant y trouver la raison de surpasser l’odeur intense de solitude qui
me stagne sans arrêt sous les bras et puis re-salves d’encouragement
des troubadours intérieurs : continue, continue d’entrelacer ton vers à la seule vérité
qui soit et la stupeur d’exister. Ainsi les mouettes remontent dans les terres, suivant
les fleuves de déchetterie en déchetterie parce qu’elles sont de bons exemples
des adjectifs : avides, affamées, faméliques, et toute la liste linguistique
qui veut simplement dire que tu me manques. Qui Tu ? Je t’ai dit hier, le moindre
membre du visage universel. En fait avec toi ou avec vous on serait tenus dans
les serres du monde si cette métaphore a un sens. C’est ce qui arrive à
Ganymède dans la légende, un aigle se l’approprie et vient le déposer dans le contre-
univers des choses ou l’univers des contre-choses, enfin j’espère qu’on se
comprend : c’est juste qu’il devient capable de refermer sur lui la circonférence
comme il arrive aux gens de s’enrouler dans une couette ou dans l’odeur adolescente
de l’espoir et il semble un instant que rien ne peut plus s’enfuir : ni
la carte postale vivante d’hier – pleine lune sur mer déchaînée & grains fouettant
les vitres – ni ce train ni rien. Et donc dans cinq ou six jours, je le reconnaîtrai : l’un
des millions à pouvoir effectuer la suture ou la liaison des peaux comme
la mousse parfois pousse à même les toits de tôle ondulée et on se demande
où elle trouve l’énergie de s’épanouir aussi follement en milieu hostile. Par
exemple c’est la mort ou la mort grandit mais je me trimballe avec la photocopie
de toi ou de vous et voilà exactement le masque ou le scaphandre dont
j’avais besoin pour ne pas finir, disons, déjà étouffé par la poussière polluée.

Biographie

Né en 1967, Stéphane Bouquet fait des études d’économie et de sociologie. Critique de cinéma aux Cahiers du cinéma et scénariste, notamment pour Sébastien Lifshitz (Il faut que je l’aime, Les Corps ouverts, Les Terres froides, Presque rien, La Traversée, Wild side). En outre, il a animé avec Laurent Goumarre l’émission Studio danse sur France Culture et a été critique littéraire à Libération. 
Pensionnaire à la villa Médicis en 2003-2004. Il y termine Le Mot frère dans lequel il livre quelques clefs de lecture pour ses autres livres. 
Participe à la création chorégraphique de Déroutes, spectacle de Mathilde Monnier en 2002 / 2003.

BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages

Dans l’année de cet âge, Champ Vallon, 2001
Un monde existe, Champ Vallon, 2002
L’Evangile selon Saint Matthieu, sur un film de Pasolini, Ed. Cahiers du cinéma, 2003
Le mot frère, Champ Vallon, 2004
Un peuple, Champ Vallon, 2007

Eisenstein, Cahiers du cinéma, 2008
Gus Van Sant(avec Jean-Marc Lalanne), Cahiers du cinéma, 2009 

Nos amériques, Champ Vallon, 2010
Les Amours suivants, Champ Vallon, 2013
Les oiseaux favorables (avec Amaury Da Cunha), Les Inaperçus, 2014
Vie commune, Champ Vallon, 2016

Vie commune – Stéphane Bouquet 2016