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ANDRÉ GUILLERME La Naissance de l’Industrie à Paris

Entre sueurs et vapeurs. 1780-1830.

Pour devenir capitale industrielle de l’Europe continentale, Paris développe entre 1780 et 1830 deux révolutions techniques. La première, biochimique, se déploie grâce à l’humidité ambiante et à la fermentation des matières organiques qui imbibent le sous-sol et la nappe phréatique : la capitale est la principale productrice de salpêtre et assure ainsi près du tiers des besoins en poudre. Peaux, graisses, os, sang, grains, chiffons, poils, verre, ferraille, cendres, ces matières brutes sont collectées, triées et transformées en atelier pour devenir des matières premières de haute valeur travaillées par le corroyeur, le hongroyeur, le chandelier, l’amidonnier ou le boyaudier, le fondeur, l’étameur, le plombier.
Parallèlement à cette révolution artisanale qui tire parti d’un milieu particulièrement riche, une révolution chimique s’enclenche à l’initiative de l’État et des scientifiques qui s’impliquent pour rendre le royaume, la république, l’empire, moins dépendants des importations de soude, d’acide, de céruse, de cuivre, de fonte, d’or. Les manufactures prolifèrent dans les faubourgs proches, Grenelle, Vaugirard, La Gare, et aux portes Saint-Martin, Saint-Denis, Temple, Saint-Antoine, permettant l’apparition de nouveaux métiers comme ceux de blanchisseur, cérusier, raffineur, laveur de cendres — et de nouveaux produits — colle forte, bleu de Prusse, noir animal, platine, zinc, eau de Javel, soude — qui font du département de la Seine le premier technopole. Enfin, dans les années 1820, la mécanique se déploie, comme en Grande-Bretagne.
L’atmosphère séquanaise évolue dangereusement. La nappe souterraine est très saline. L’air devient nauséeux. Aux pollutions organiques dégagées par l’artisanat et la putréfaction de matières résiduaires — boues, eaux usées — s’ajoutent les pollutions minérales provenant de l’industrie consommatrice de houille, de la métallurgie et de l’orfèvrerie qui diluent des vapeurs chargées de métaux, de la chapellerie qui exhale du mercure. Les hôpitaux sont débordés ; les citadins rentiers se plaignent ; des épidémies couvent, malgré les mesures prises par la préfecture de Police pour enrailler les maux du progrès. Ambiance noire que quelques lumières éclairent avec peine.
Cette histoire de l’industrialisation de la capitale française qui étudie les techniques dans leur milieu saisit avec précision et beaucoup de vie l’ambiance ouvrière des arts industriels, en décapant une époque et une économie qu’on croyait bien connaître.

Naissance de l'industrie à Paris (André Guillerme – 2007)