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Arthur | BERNARD

«Ça va. On pourrait s’arrêter là. Tout y est. Ou bien continuer. Jusqu’à la fin. C’est quoi la fin? Ça ne nous regarde pas, au fond. Ça nous échappe. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai continué. Ça ne veut pas dire que j’ai fini. Que je suis fini. On verra bien. On ne verra rien. Je ne verrai rien.  Ça va. Qu’est-ce que ça cache ? Ce mensonge, rituel de silence sous le bavardage. Ça va !, qui est le titre d’un beau poème de Vladimir Maïakovski, exaltation de l’avenir, de la révolution. Loin de la politesse convenue dans l’expression, camouflant l’indifférence à autrui sous un rituel creux. Qu’est-ce qui m’a pris de faire ce livre ? Pensé à Flaubert, auquel je voue une admiration principale, dont pour une ligne «écrire un livre sur rien…» Moi, c’est un livre du ça va, qui est une forme de rien. »

 

Arthur Bernard a publié, selon les circonstances éditoriales, sous différents noms des romans, et des ouvrages historiques et sociologiques (en particulier sur Paris). Il clôt ici une ardente conversation avec lui-même et les événements de sa vie sentimentale, sa vie tout court.

Ca va couv

«On arrive à Paris à vingt ans, sans penser qu’un jour, plus d’un demi-siècle après, on devra rendre le bonjour et adresser ses adieux. Nous y sommes, enfin le narrateur, lui y est. Il a fait son temps. Sous l’horloge sinistre de la Gare de Lyon, qui lui donna l’heure, les heures de la Ville, pour toujours et dès la première fois, reconnaissant tout ce qu’il voyait sans jamais avoir rien vu avant, grâce aux livres, aux films, leurs correspondances avec la réalité. Maintenant, il convient de saluer cet Hier, sans même avoir à le quitter. Celui qui narre aura vécu, regardé autant que lu, cohabité avec les mots, les images, les photographies, les films, dehors comme dedans, jour et nuit, à la Bibliothèque ou dans les salles obscures. C’est terminé. Clap de fin.»

« C’est l’histoire d’un jeune homme qui poursuit son éducation à Paris. Son métro, c’est Glacière, sur la 6, une ligne aérienne. Une fois par semaine environ, pendant près d’une année, il rencontre dans les escaliers de la station l’homme qu’il admire le plus au monde. En lui-même, il l’appelle son Maître, son Instituteur, rapport aux mots, à la littérature qui ne sont pas, pour le disciple une mince affaire. C’est à ses yeux le plus grand écrivain du temps et il est bouleversé quand il le croise en personne. Pourtant il est incapable de lui adresser la moindre parole, ne serait-ce que pour lui demander l’heure.
Allez, cet Irlandais, on peut bien le nommer. Son prénom, c’est Sam. Son nom entier, Samuel Beckett. »

« Alors j’ai grandi, je suis sorti à pied de l’enfance. Moi, Gaby simple particulier. Sans savoir vraiment vers quoi je me dirigeais sauf que j’y allais, qu’il y avait un mouvement et qu’il était pour moi ascendant. Je ressentais avec force des aspirations générales, pas toujours claires dans mon esprit mais dont, je crois, les mots et les filles étaient les principales, dans quel ordre pourtant je n’aurais su l’affirmer avec certitude. Il n’était pas d’ailleurs nécessaire qu’il y eût un ordre et si ces aspirations, de façon confuse, me paraissaient principales, il en existait d’autres et pas toujours secondaires. A l’occasion, j’en dirai. »

Lire un extrait


Gaby grandit
Le début

Comment je m’appelle ? C’est une question qu’en principe on ne se pose jamais, sauf à se trouver dans un état de commotion cérébrale, de confusion mentale, d’ivresse prononcée et pourtant, il me semble qu’elle m’a toujours travaillé. Parce qu’un jour, celui de ma naissance, mon zéroïème anniversaire en somme et de la bouche même de ma mère l’accouchée, sans que j’y sois pour rien sinon de me trouver là avec elle et de commencer par une coupure, un nom m’était tombé sur la tête, le cigare, que je l’avais ramassé et allumé pour la vie. Avec tous les avantages, les inconvénients, le reste et réchauffé par une température de 37° C., la température stable du nouveau-né. Ça changerait. Je veux dire qu’il y aurait des fièvres, au pluriel et au singulier.
On est tout entier et seulement à moitié dans sa date de naissance. Mais ça y était et, baigné d’amour et de lait, j’étais nommé. J’étais identifié et la vie entière pour en faire, défaire, avec mon identité. Un jour, j’aurai une carte et l’envie d’en changer, la perdre pour mieux me retrouver. Bon.
N’étant plus personne j’étais devenu quelqu’un, c’est dit et ce sera redit, une ligne imprimée, bave et trace de limace sur nombre de paperasses, sauf qu’en permanence me suis appliqué à ruser, tricher, rompre avec la fatalité de cet esclavage par le nom, hérité, transmis, me faisant une morale, une esthétique voire, plutôt un sport en fait, de pratiquer l’acrobatie des doubles, des triples, des alias, des pseudos, et gymnaste, acrobate, contorsionniste, fildefériste de l’identité, je le fus pas si mal, pas toujours pourtant, parfois pas si bien, il m’arrive de penser contre moi-même, à mon détriment d’ailleurs plus souvent qu’à mon avantage. Être pris pour un autre en restant je, ça qui me plaisait c’est sûr, entre autres, dans mon passage par terre. De cela suis certain à mon endroit autant qu’à mon envers : je ne peux vivre sans noms pluriels, empruntés, volés, à moi par moi donnés, par d’autres pour un oui ou un non, un nom, par exemple abandonnant le nom du père pour, dans certaines occasions, adopter celui de la mother, chic il commençait par un A et je le trouvais plus chouette !, moins commun, ainsi devenais-je Arthur Antérion, A. A pour initiales, redoublant la première lettre de l’alphabet. Aussi échanger avec des amis, des très chers, des alter ego, inventer des tours de passe-passe, acquérant grâce à cette manœuvre toute une garde-robe d’appellations, kyrielle de noms à tiroirs, à double fond. J’ai toujours éprouvé de l’admiration, peut-être même de l’envie envers les usagers, que dis-je les artistes du pseudo, tels qu’on en voit battre, couper, cacher, escamoter et retourner les cartes dans les cercles, les arcanes de la truanderie, celles de la littérature, celles de la Révolution aussi, quand pour elle le temps sonne l’heure. Avoir un nom de guerre, surtout quand on ne fait pas la guerre. Moi, je courais et de bien plus modeste façon après des noms qui fuyaient devant moi, semelles de vent, derrière et devant ! En posséder plusieurs, usant ainsi de plusieurs vies, enfin l’illusion d’user : un nom par vie, une vie par nom, comme c’était grisant ! Et même, à l’occasion, allez, osons !, bandant.
Quant à l’alter égotisme, son comble, son fin fond, son absence d’égoïsme et d’envie, il me plaît de l’évoquer à propos du plus cher, du plus intime des intimes de toute mon existence, on n’a pas idée de notre intimité, rien d’ailleurs de vraiment inavouable même dans le jamais avoué, concernant la littérature, les femmes et surtout nous-mêmes, lui et moi, moi et lui, c’était tout comme, et ne nous prends en aucune façon pour des illustres, illustrations de l’amitié virile, celles qu’on trouve dans les livres de classe, les chansons, Montaigne et La Boétie. Pourtant, nous nous étions connus au lycée, le Raoul-Marquis, en quatrième, la classique, la 4e AB comme aussi on pouvait dire. Il en avait treize et douze moi. Nos noms de baptême n’étaient guère éloignés mais identiques, non. Un jour, j’ai oublié lequel de notre histoire, voilà qu’il me fit de but en blanc, au détour d’une conversation banale, changeant de ton, un je-ne-sais-quoi de solennité Désormais, je t’appellerai Babet, je te prie de le noter. N’a rien ajouté, rien expliqué, pour lui (où était-il allé dénicher ce sobriquet ?, ne l’ai jamais su vraiment, il s’est toujours dérobé devant l’éclaircissement et avec lui est mort le secret, décédée l’énigme) ça coulait de source. Alors, ai répliqué au rebond, comme au ping-pong où on était bons, enfin pas mauvais et surtout en double D’accord, mais dans ce cas, de mon côté t’appellerai aussi Babet, note-le toi de même, s’il te plaît. Et personne d’autre ne nommera jamais ainsi ni l’un ni l’autre de nous deux. Aussitôt dit, aussitôt fait, c’est très vite devenu d’un naturel confondant pour tous les deux, qui des fois confondait ceux qui ne nous confondaient pas et avaient de nous ni pratique ni intelligence suffisantes.
Et ça a duré toute notre vie, enfin la sienne, puisqu’il est mort de mon vivant, je suis un soliloque, je suis un survivant, à soixante et un, j’en avais soixante, l’été de l’année où l’on changea de siècle et peut-être, tant qu’on y est allons-y, soyons fou, de millénaire. Cela s’est passé à la suite d’une manœuvre malheureuse au volant, demi-tour sur un terrain en pente et de surcroît boueux, au terme duquel il s’est noyé, prisonnier de son automobile, s’abîmant après une glissade en marche arrière au fond, en fait pas très profond de l’étang où il pêchait la carpe à la pomme de terre. « Dans vos viviers dans vos étangs / Carpes que vous vivez longtemps / Est-ce que la mort vous oublie / Poissons de la mélancolie », écrit de cette poiscaille qui devient centenaire le poète Apollinaire dans son « Bestiaire ».
Et moi Babet restant, ou moitié de, j’en aime encore moins les étangs (et la carpe idem), leur vert stagnant, la crème sale des bords qui crève en bulles, bruits de succions obscènes, les abcès autour des herbes, insectes y pullulant, éternels moucherons, immortels éphémères, les bois pourris flottants. Pour tout le monde, un tas de gens, en un unique nom comme en cent, Toulemonde pour résumer, c’était un accident. Je ne sais rien de plus et pas plus de moins. Donc ne dirai rien. Ni à Toulemonde ni à Personne. Parce qu’il était Babet et que j’étais Babet. Mais ce que pouvait signifier un tel nom obscur, je n’ai jamais réussi à le découvrir, sinon notre confusion en un, autant que notre division en deux. Et ce qui est plus confondant, c’est que j’appelle ses deux fils Babet et qu’ils me rendent la pareille, c’est allé de soi, c’était de plein droit. Et ce qui est encore plus fort, c’est qu’il y a assez peu de temps, Babet le cadet, le petit Babet comme il se désigne volontiers lui-même, m’a annoncé la naissance d’un fils baptisé James, mais pour nous autres tout naturellement Babet, à l’exemple de son père, son oncle et ses deux frères aînés. Drôle de continuation, prolongation, pour moi qui en ai nulle, sinon par le faux nom, que ces trois générations de Babet, qui devant moi, avancent à reculons. Comme le Babet dans son auto vers son étang et ses carpes, lui qui avait d’abord dû s’enfoncer sous l’eau avant de monter comme chez les Grecs antiques dans la barque, la périssoire. Mais cet été-là et depuis déjà un bout de temps, Charon le nautaunier, passeur éternel des âmes mortes, était mort lui-même, c’est-à-dire oublié. Sauf par les livres anciens. Et, plus récemment, renaissant dans les étoiles. J’ai appris il y a peu, c’en était une nouvelle !, qu’une exploration astronomique considérable avait permis d’établir qu’autour de la planète Pluton gravitaient la lune Charon et quatre petits satellites, baptisés Nix, Hydra, Kerbéros et Styx. Voilà donc que la science du siècle 21 expédiait les Enfers jadis souterrains dans le cosmos ! Et que Charon le nocher était devenu une lune tournant autour de son maître Hadès, alias Pluton.


Revue de presse

Livres Hebdo (12 novembre 2010)
par Jean-Claude Perier

Que suis-je?

Arthur Bernard poursuit à sa façon, distanciée, son autobiographie romancée.

Avec quel plaisir les lecteurs de La guerre avec ma mère (paru chez Champ Vallon en 2006) retrouvent-ils aujourd’hui Gabriel Lavoipierre, alias Gaby, le héros d’Arthur Bernard. Lequel lui prête sa plume et le fait se raconter à la première personne dans l’une des plus attachantes entreprises autofictionnelles de ces dernières années. Bernard a de la culture, du style, de l’humour et de l’insolence. De la tendresse pour les jolies femmes. Une vénération pour le livre en général et pour la mythique collection «Que sais-je?» en particulier. Le narrateur, lui, lit au hasard n’importe lequel des petits volumes, y compris celui sur La mécanique des fluides. Et puis il rêve d’un numéro consacré à sa vie: son «Que suis je?»,en quelque sorte.
Gaby, c’est un jeune Grenoblois qui monte à Parts et tombe amoureux de la capitale, ses quais de la Seine surtout. Et d’une certaine vie de bohème qu’on pouvait encore y mener, surtout pendant Mai 68. Notre héros, se trouvant par hasard sur les marches de la chapelle de la Sorbonne fut pris en photo devant une inscription qui disait: «Libérez l’expression». Tout un symbole. Et le cliché parut même dans Elle! Ce myope réfugié derrière ses grosses lunettes – ce qui, paradoxalement, lui a permis de porter sur le monde un regard aussi aigu que distancié–, de jouir d’une double vue comme il le dit joliment, et aussi de prendre, dans sa tête, des milliers de photos (notamment de ses brefs flirts sur le pont des Arts ou au Select) – a aussi connu son baptême du feu lors d’une manif à la Mutualité : ses talents de sprinter lui ont évité horions et ennuis. Souvent, le narrateur fait semblant de se perdre dans ses souvenirs, dans des digressions où il entraîne volontiers son lecteur. Il médite aussi sur la fuite du temps, la solitude, les amours éphémères. Mais Arthur Bernard ne nous abandonne pas longtemps dans ce désert de Gaby, trop pudique pour ça. Un bon mot, un clin d’oeil, une incidente sur son amour pour la lettre Z, ou la silhouette de la jolie Cynthia viennent vite à la rescousse.
A la fin de Gaby grandit, Gaby a grandi, mais pas vieilli. Il court toujours. il s’est même marié. Pour séduire sa future, il a osé ôter ses besicles, et dévoiler ses irrésistibles yeux gris bleu, héritage paternel! Mais la belle, un jour, l’a quitté, quoiqu’ils s’aimassent encore, et il est retourné dans sa province, sur les bords du Rhône.. . La suite, vite, Monsieur Bernard, s’il vous plaît.
J.-C. P.
Livres & Lire
(Janvier 2011)
L’écrivain et son double

Avec Gaby grandit, Arthur Bernard donne une nouvelle variation autour de Gabriel Lavoipierre, un double romanesque qui hante son œuvre depuis une décennie. Avec, cette fois, un regard sur ses années de formation, entre la découverte des femmes, de la littérature et de la politique, et les obsessions naissantes que deviendront la ville de Paris et les deux fleuves de sa vie : le Rhône et la Seine. On retrouve la voix si singulière d’Arthur Bernard dans le monologue intérieur d’un personnage qui, au fil des livres, s’affirme comme un véritable compagnon de route. Presque un ami intime… Y. N.

On retrouve dans votre nouveau roman le personnage de Gabriel Lavoipierre, déjà vu dans L’Oubli de la natation ou La Guerre avec ma mère. Comment définiriez-vous ce personnage : Un héros récurrent? Un double de fiction ? Un alter ego romanesque?
Gabriel Lavoipierre, alias Gaby, est tout cela à la fois. Héros (au sens faible!) récurrent: oui il apparaît dans On n’est bas d’ici (Cent pages, 2000) et il se retrouve aussi dans Le Désespoir du peintre (Champ Vallon, 2009), où il n’est pas le seul, et enfin tous les héros (au sens très faible, du point de vue de l’héroïsme!) de mes autres romans avant son apparition (Guillaume Doutreleau, Frédéric Palamède, Antoine Pluvinel, Beaumont…) lui ressemblent. Je dois avoir un type de type. Double, alter ego, du narrateur, oui aussi. Narrateur qui n’est pas (que) l’auteur. La figure du double me permet, et ce n’est pas un procédé, d’introduire du jeu en enlevant du je, le je d’Arthur B. Je ne fais pas de l’autofiction ou alors dérivée, pas d’autobiographie : je fais parler des types qui ont l’air d’être moi mais ne sont pas que moi. J’écris des romans, des fictions, je le revendique. D’ailleurs je n’invente rien. Cette façon, qui n’est pas une technique, doit beaucoup aux trois grands que je considère comme mes maîtres et que je cite dans l’ordre chronologique: Flaubert, Céline, Beckett. Je suis un auteur mineur (ce qui n’est pas pour moi dévalorisant et j’écris en mineur, du point de vue de la tonalité) qui emprunte beaucoup aux auteurs majeurs, pas à tous. Je ne dois rien à Claudel ni à Aragon par exemple, pour ne citer qu’eux.

Les mentors, Les femmes, les livres, les origines et les ambitions : ce roman a tout du récit de formation, avec une insistance particulière sur le terme « grandir ». Que recouvre-t-il pour vous?
Roman de formation, oui encore. Mais quel roman mettant en scène un type du genre des miens ne l’est pas? Les livres, les femmes (je préfère dire les filles, c’est sans âge) en sont sans doute les principaux passages, avec leurs rites: je le revendique explicitement dans ce livre. Pour moi, éducation littéraire et éducation sentimentale m’ont toujours paru inextricablement liées et la matrice de tout le reste : même l’éducation politique en découle un peu. Grandir. Le verbe m’a accompagné tout le temps et ça continue. Verbe conjugué par les grandes personnes pour interdire ou retarder : Quand tu seras grand! Ou conjugué à la première personne, comme une promesse parfois violente, une revanche : Quand je serai grand… Mais grandir n’est pas vieillit au contraire, c’est un processus de jeunesse, une jouvence. Quitter l’enfance et ne la jamais quitter, juste une métamorphose!

Comme dans d’autres romans, Gaby parle de son existence en préférant la justesse des souvenirs à la vérité des faits…
Je mentais en disant que je ne devais rien à Aragon! je lui dois le « mentir vrai », comme à Proust en qui je me reconnais plus comme lecteur que comme romancier, la recomposition, la colorisation des souvenirs, du passé. Ce qui m’importe, c’est la vérité littéraire, pas l’historique, mon histoire, celles des autres qui ne sont qu’une question d’angle, de prise de vue. J’ai remarqué à l’occasion que des lecteurs me faisaient compliment du rendu vrai de mes souvenirs, par exemple dans La Guerre avec ma mère, alors que dans certains cas, sur un fait, un objet précis, c’était pure invention. Là, je jubile, car je me dis que j’ai réussi mon coup: mentir et dire vrai en même temps. Et ici aussi, le double, l’alter ego sont d’une grande utilité pour brouiller les pistes.

De la collection des Que sais-je ? à Stevenson en passant par la course à pied, les fleuves ou la ville de Paris, on découvre aussi ce qui pourrait correspondre à la mythologie intime de Gabriel…
On a tous besoin d’une mythologie portative et en particulier en littérature, surtout quand comme moi on ne raconte pas des histoires romanesques, qu’on ne fait pas de scénarios, ni de sociologie ni de psychologie, en tout cas pas littéralement. Les mythes, grands ou petits, les livres encore, les fleuves en effet, Paris, c’est ce qui attache et relie à un placenta bien plus vaste que celui dans lequel baigne notre (mon) misérable ego ou alter ego. Ça passe et ça ne passe pas, ça coule et ça ne coule pas comme le Rhône et la Seine, c’est ce qui abolit la coupure entre neuf et ancien, c’est ce qui permet la répétition dont j’use et abuse, disent certains, mais dont j’ai besoin.

Un mot sur l’écriture de votre personnage par le biais du monologue intérieur. Gabriet Lavoipierre est-il avant tout une voix?
Oui, la voix, oui. Comme pourrait dire, en mieux, Beckett! J’écris à l’oreille et à l’œil. J’ai besoin de voir et d’entendre ce que je mets en mots. Et la tonalité, le phrasé, la musique sont importants. Mais, je le répète, c’est en mineur, du point de vue du ton.

Pensez-vous épuiser un jour le potentiel romanesque de ce personnage?

Je ne sais pas si c’est Gaby qui me quittera, que je quitterai ou encore que nous nous quitterons mutuellement, un jour forcément. Mais je pense à la question bien sûr. En tout cas,j’ai en chantier un autre (court) roman où Gaby est encore là. Il tourne autour du rapport entre le maître (littéraire), mais un maître silencieux, et un disciple qui n’ose lui adresser la parole. J’en ai bien encore pour un an ou deux Ce qui me plairait c’est qu’avec les deux précédents, ça ferait une trilogie. Comme chez mon maître Beckett. Mais en moins bien, naturellement.

Propos recueillis par Yann Nicol