Champ Vallon

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Olivier | BARBARANT

Les études critiques relèvent généralement de la théorie ou du catalogue. Ce rassemblement de chroniques prétend procéder autrement, en cherchant ce qui peut éclairer une rencontre, en explorant chaque oeuvre à la lumière de l’intensité du choc qu’elle procure. Ainsi s’édifie un tableau inédit de la vitalité de la poésie, et une réflexion ouverte aux voix de la poésie nationale mais aussi internationale, trop souvent négligée dans le paysage littéraire français. L’écriture, poétique comme critique, prend dès lors exemple sur le travail de la mer, qui selon le poète grec Aris Alessandrou « ne cesse de mêler / algues et ciel / s’efforçant à trouver sa juste couleur ».

 

Olivier Barbarant a publié plusieurs ouvrages, notamment de poésie, dont l’un, Odes dérisoires et quelques autres un peu moins, a reçu le prix Tristan-Tzara. Tous sont publiés aux Editions Champ Vallon. Une anthologie Odes dérisoires et autres poèmes (anthologie) est parue dans la collection «Poésie/Gallimard» en 2016. Il a également dirigé la publication de l’œuvre poétique d’Aragon dans la Bibliothèque de la Pléiade. En 2019 son recueil Un grand instant a reçu le prestigieux prix Apollinaire.

«Il arrive qu’un instant sans durée concentre en lui-même la valeur d’un long intervalle et fasse tenir le maximum de ferveur dans le minimum de temps. Il arrive qu’une jouissance continuée et plus ou moins diluée se ramasse au foyer d’une joie-éclair. […] Or qu’est-ce que la vie entière perdue dans l’océan de l’éternité, sinon « un grand instant » ? . Cet extrait de La Mort de Jankelevitch, dans un chapitre intitulé «La vie brève», circonscrit le point d’attention réunissant des poèmes remontant à des époques diverses (enfance et jeunesse, temps présent) mais pour tenter d’en restituer et déplier l’intensité particulière, seul trait qui les rassemble, et pourrait faire de la vie reparcourue par coups de sondes un grand instant.

Hommage, oraison, tombeau aussi bien, quand notre modernité a tendance à en effacer douloureusement les traces, les Elégies étranglées tentent peu à peu de circonscrire le cataclysme intérieur que représentent la déchéance et/ou la mort des parents. L’hommage aux disparus est ainsi l’occasion d’un cheminement intérieur : à défaut de les avoir sauvés par la voix – il n’y a que de faux orphées – peut-être pourrait-on les aimer en respectant leurs combats, leurs amours, en poursuivant ce qui faisait battre leur cœur. Peut-être l’écriture, ici la déploration élégiaque, est-elle une manière de faire tenir ensemble les éléments démembrés de l’existence, et de retourner vers la vie ce qui la biffe sans pouvoir la nier.

Boire à la source, disait Supervielle pour de pareilles évocations de souvenirs. Mais quand on écoute son passé avec suffisamment d’attention, aussi obscure soit sa vie, on y entend la rumeur des temps. On peut parier que les événements personnels puissent révéler les éléments communs d’une génération: on ne fuit donc pas l’Histoire ici en tentant de la retrouver au ras des émois. Il sera question de Colette, du gauchisme à peine frôlé, de Gide et d’Aragon, d’Allende et de la décoration intérieure des années 70, des lapins dans ce qui restait des fermes des aïeux, de l’enterrement de Neruda et du poids des cuillers en fer blanc: «Un homme n’est pas fait que du temps intime, du cœur qui cogne ou bien se tait.[…] Aussi éloignés semblent-ils à première vue, le rythme du corps et celui de l’Histoire forcément se rencontrent, se nouent. Né sous la neige, donc. En même temps, sous De Gaulle. Et se comprendre suppose sans doute qu’on parvienne à relier les fils invisibles d’une aussi énigmatique conjonction». O.B.