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CLYDE PLUMAUZILLE Prostitution et Révolution

CLYDE PLUMAUZILLE Prostitution et Révolution

Les femmes publiques dans la cité républicaine (1789-1804)

Voici la première enquête historique jamais réalisée sur la prostitution à l’heure de la Révolution française, une période clé pour comprendre la place des prostituées dans notre République. A travers cette histoire des femmes publiques en Révolution, ce sont les origines des politiques contemporaines de la prostitution qui se dévoilent.
La Révolution française marque en effet un tournant inédit dans l’appréhension de la prostitution. En dépénalisant cette activité tout en maintenant un contrôle policier sur les femmes qui l’exercent, elle fait des prostituées, « femmes infâmes » de l’Ancien Régime, des citoyennes diminuées de la République.
Dans cette riche enquête historique où se côtoient femmes publiques, bons bourgeois, policiers et hommes de loi, la prostitution vient révéler les frontières morales du projet révolutionnaire et proposer une histoire de la sexualité sous la Révolution française.
Alors que sonne le glas des grands bordels de l’Ancien Régime, que fut la prostitution au tournant des XVIIIe et XIXe siècles ? Le commerce du sexe a-t-il constitué un enjeu pour les révolutionnaires qui mettent alors la régénération morale à l’ordre du jour ? Spécialiste de l’histoire révolutionnaire et de l’histoire des femmes et du genre, l’auteur dévoile et les transformations et les paradoxes d’une période charnière.
À la croisée de l’histoire des femmes et du genre, de l’histoire de la Révolution française mais également des apports de la sociologie et des sciences politiques, cet ouvrage revient sur les fantasmes et les préjugés qui trop souvent résument l’histoire de la prostitution révolutionnaire, enquête empirique à l’appui.

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INTRODUCTION :
LA PROSTITUTION EN REVOLUTION, UN « NON-LIEU D’HISTOIRE»

De l’histoire de la prostitution à l’histoire de la Révolution : un rendez-vous possible et nécessaire

Sources et méthodes : « traquer les prostituées »

A – Les « papiers » des commissaires : archives de la pratique policière de la prostitution
B – Les hospices-prisons de la Révolution
C – Les archives de la surveillance : l’administration de papier de la prostitution
D – Listes et lettres de prostituées : d’autres regards sur la prostitution

Penser le droit à la cité des prostituées dans la société régénérée

CHAPITRE LIMINAIRE : TROUBLE DANS LES MŒURS

A – Dire et faire dire la sexualité prostitutionnelle
B – Le « fléau de la prostitution »
C – Du « grand renfermement » à la « petite clôture » : règlementer pour contrôler

PARTIE I

I. Profil et itinéraire d’une population de « filles » construite par l’action policière
A – Qui sont les « femmes publiques » du Paris révolutionnaire ?
B – « Journalières » de la sexualité
C – L’économie morale de la prostitution

II. Un sens aigu du placement : le territoire parisien de la prostitution à la fin du XVIIIe siècle

A – Paris, capitale de la prostitution
B – Le « marché aux putains » du Palais-Royal

III. La sous-culture de la prostitution révolutionnaire

A – Entourages et partenaires de la prostitution
B – Les arts de faire de la prostitution
C – « Les filles paraissent donc devoir être ma dernière ressource » : Alexandre Brongniart et la prostitution du Paris révolutionnaire

PARTIE II .

IV – Murmures du peuple, silence des lois. La dépénalisation de la prostitution et la démission du pouvoir législatif (1789-1792)

A – La police des mœurs au XVIIIe siècle : retour sur une « équivoque manière de tolérer et de proscrire »
B – Les cahiers de doléances : sondage d’un horizon d’attente sur la prostitution en 1789
C – De la dépénalisation silencieuse à l’intolérance tacite, 1789-1792

V – Une dépénalisation manquée. La mise en administration de la prostitution (1793-1799)

A -1793 : le « retour du refoulé » de la prostitution à la barre de l’Assemblée
B – Le tournant de l’an II : l’arrêté de la Commune contre les « femmes de mauvaise vie » du 4 octobre 1793, la mise en œuvre d’une nouvelle « rationalité incriminatrice » de la prostitution
C – La République directoriale, laboratoire d’une administration des mauvaises mœurs

PARTIE III

VI – Policer les mœurs, réguler le scandale : la communauté des « honnêtes citoyens » contre la prostitution

A – L’Affirmation d’une police de la prostitution
B – L’action du commissaire de la Butte des moulins : une action plus régulatrice que répressive.
C – Les « entrepreneurs de morale » du quartier de la Butte des moulins

VII – « Arrêtée comme femme publique » : retour sur la stigmatisation

A – L’étiquetage d’un gibier de police
B – L’appel à la justice des femmes enfermées pour prostitution : la mobilisation d’une puissance d’agir citoyenne

CONCLUSION

Revue de presse

LECTURES.REVUES.ORG — « Clyde Plumauzille, Prostitution et révolution. Les femmes publiques dans
la cité républicaine (1789-1804) », par Lilain Mathieu, 5 décembre 2016.

H-France Review — par Jennifer Heuer, vol. 17, N°107, 2017

REVUE HISTORIQUE DE DROIT FRANÇAIS ET ETRANGER — par André Cabanis, avril-juin 2017

LIBERATION — « Femmes publiques en République » par Yannick Ripa, 18 janvier 2017

EN ATTENDANT NADEAU N°24 — « Un tabou de la République » par Vincent Milliot, 18 janvier 2017

Population — par Jean-Marc Rohrbasser, vol. 22, 2017/2

Les Cahiers de science et vie — par Hélène Colau, septembre 2016

L'Histoire — N° 433, mars 2017

FRANCE CULTURE — La Fabrique de l'histoire, 20 janvier 2017

Biographie

Docteure en histoire de l’Université Paris 1, Clyde Plumauzille est chercheuse au Centre de Recherches Historiques de l'École des Hautes Études de Sciences Sociales.
Ses recherches portent sur la prostitution urbaine à l’époque moderne et au début de l’époque contemporaine, et se situent à la croisée de l’histoire des femmes et du genre, de l’étude des politiques publiques de la prostitution et de l’histoire sociale et culturelle de Paris.

Prostitution et révolution – Clyde Plumauzille 2016
Paru le 17 novembre 2016
14 x 22 cm, 400 pages
ISBN 979-10-267-0066-1
28 €

ANNE VERJUS, DENISE DAVIDSON Le roman conjugal

ANNE VERJUS, DENISE DAVIDSON Le roman conjugal

Chroniques de la vie familiale à l'époque de la Révolution et de l'Empire

À l’époque révolutionnaire, la famille est souvent présentée comme l’unité élémentaire de la Nation et le creuset de la citoyenneté. La Révolution et l’Empire en ont fait le jouet de lois tour à tour progressistes et réactionnaires, instaurant par exemple le divorce tout en négligeant de supprimer l’autorité maritale.
Sous l’empire de ces lois, des couples ont vécu. Dans une société qui connut, en l’espace d’une génération, des bouleversements sans précédent, des femmes et des hommes se sont mariés, ont découvert l’intimité de la vie conjugale, la force des désirs et des sentiments; ces époux ont partagé un quotidien fait de tranquillité et de banalité mais aussi, en ces temps troublés, d’extraordinaires menaces, craintes et souffrances. Bien des épouses ont appris, en l’absence des hommes, à endosser de nouvelles responsabilités; et les époux, à connaître leur femme sous un nouveau jour. Des pères et des mères ont choisi d’éduquer leurs enfants selon Rousseau, tout en cédant à la mode du mérite et de la concurrence. Tous ont dû apprendre le nouveau catéchisme des droits et devoirs conjugaux, mais tous n’en ont pas fait une religion.
Parmi ces couples de l’époque révolutionnaire, deux d’entre eux nous ont laissé une correspondance exceptionnelle. Le premier, lyonnais, est celui d’Antoine Morand de Jouffrey et Magdeleine Guilloud, mariés en 1785. Le second, parisien, est celui de Pierre Vitet et Amélie Arnaud-Tizon, mariés en 1801. À partir des 1500 lettres que forment leurs échanges épistolaires, Anne Verjus et Denise Davidson retracent les étapes, les aléas et les normes de ces vies conjugales dont on ignorait, pour cette période si peu banale, à peu près tout.

Revue de presse

La correspondance d'Antoine Morand de Jouffrey, sur le site de l'Ens de Lyon

Biographies

Denise Davidson est professeur d’histoire à Georgia State University aux Etats-Unis. Elle a publié France after Revolution : Urban life, Gender, and the New Social Order (Harvard University Press, 2007).

Anne Verjus est chercheur au CNRS, membre du laboratoire Triangle à l’ENS de Lyon. Elle a publié Le Cens de la Famille. Les femmes et le vote, 1789-1848 (Belin, 2002, préf. de M. Ozouf), ainsi que Le Bon mari. Une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire (Fayard, 2010).

Roman conjugal (Le) – Anne Verjus Denise Davidson 2011
Paru le 10 mars 2011
14 x 22 cm, 352 pages
ISBN 978-2-87673-546-0
26.50 €

PIERRE SERNA (dir.) La politique du rire

PIERRE SERNA (dir.) La politique du rire

Satires, caricatures et blasphèmes. XVIe-XXIe siècles

Les historiens vivent, travaillent et pensent dans la cité. Un mois après le massacre de la rédaction de Charlie, des historiens se réunissent à l’École Normale de la rue d’Ulm, pour penser ensemble comment depuis le XVIe siècle le rire a été une puissante arme politique, utilisée sous diverses formes, de la dérision subtile au rire féroce, en passant par la franche moquerie de l’adversaire. Il est un marqueur d’intelligence, de culture et s’inscrit durant les périodes de violence tel un processus de civilisation, forme de continuation d’une lutte sans effusion de sang… jusqu’à ce que les censeurs et les ignorants tentent de l’interdire ou le tuent, réellement, avant qu’il ne reparaisse, toujours… Tenter d’expliquer les rapports conflictuels entre l’invention du rire et la construction de la politique depuis Machiavel et Rabelais permettrait ainsi d’éclairer les ruptures actuelles d’un monde globalisé où la question du rire politique repose tout simplement celle de la liberté d’expression et de conscience, au cœur d’une cité républicaine meurtrie et à repenser.

Textes de L. Bihl, I. Brian, H. Drévillon, A. de Baecque, A. Cabantous, L. Villiaume, I. Pantin, P. Serna, J.-M. Le Gall, P. Verschueren.

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La politique du rire:
satires, caricatures et blasphèmes. XVIe-XXIe siècles

Le sommaire

INTRODUCTION

Ou, morts … d’en rire !
Pierre Serna

PREMIERE PARTIE
Rires modernes et subversifs de Rabelais à Voltaire

Rabelais et ses papimanes:
outrance comique et signification politique
Isabelle Pantin

Rires et violences religieuses à la Renaissance
Jean-Marie Le Gall

Le rire du sergent :
rire, violence et sociabilité dans le monde militaire
sous le règne de Louis XIV
Hervé Drévillon

Le rire du prédicateur :
de Tallemant des Réaux aux Predicatoriana de Gabriel Peignot
Isabelle Brian

DEUXIEME PARTIE
Rires contemporains, révoltés et libres,
de bergson à la place tahrir au Caire

Rires contemporains, révoltés et libres :
de Bergson à la place Tahrir
Antoine de Baecque

Pince ou pique-sans-rire
Le vieux loufoque est-il comique ?
Laurent Bihl

Le rire de la vieille dame :
humours, sciences et politiques rue d’Ulm de 1945 à 1971
Pierre Verschueren

Street art et révolution en Égypte :
le rire au bout de la Révolution
Leslie Vuillaume

EPILOGUE
La fin du rire… ou le rire de fin…

Le rire et le basphème :
remarques sur un couple improbable
Alain Cabantous

Revue de presse

RHMC, par Jean Ruhlmann, N°641, 2017/1.

Le Canard Enchaîné — On ne badine pas avec l'humour, par Frédéric Pagès, 9/9/2015

Marianne — Politiques de l'hilarité, par Alexandre Gefen, 8/10/2015

LE Monde — par Pierre Karila-Cohen, 26/11/2015

LA Vie des idées — Mourir de rire, par Annie Duprat, 19/11/2015

H-france Review — par Sara Beam, N°203, septembre 2016

L'HUMANITE — Le rire politique, subversif, thermomètre démocratique, par Nicolas Mathey, 01/2016

Les Rendez-vous de l'histoire de Blois, octobre 2015, par la Librairie Mollat

Politique du rire serna
Paru le 21 août 2015
14 x 22 cm, 288 pages
ISBN 979-10-267-0073-9
24 €

PIERRE SERNA La république des girouettes

PIERRE SERNA La république des girouettes

1795-1815 et au delà
Une anomalie française: la république de l’extrême-centre

La vie politique fourmille de personnages changeant au gré des majorités qui se font et se défont. Mais comment la girouette est-elle née dans la culture politique française? De quelle façon réapparaît-elle lors de chaque crise et de quelle manière désorganise-t-elle la vie parlementaire?
La littérature pourrait donner un début de réponse. Un personnage de fiction surgit au xixe siècle: le transfuge, qui, sous le visage de l’arriviste cynique, contribue au façonnement de l’archétype du «Judas politique» moderne. Pourtant tout n’est pas sorti de l’imagination des romanciers. Le transformisme idéologique provient de l’expérience traumatisante que les Français ont connue entre 1814 et 1816, lorsque se succèdent à une cadence soutenue Napoléon et Louis XVIII, lorsque les serments de fidélité ne durent que quelques semaines… Ce n’est pas la première fois que la France voit ses élites renoncer à leurs paroles. La monarchie puis la Révolution ont déjà été confrontées, de façon conflictuelle parfois, à la question de la fidélité religieuse d’abord, politique ensuite. Ce ne sera pas non plus la dernière fois, comme les événements de 1940 le montreront.
La girouette en soi vaut surtout par ce qu’elle révèle: la construction d’un pouvoir exécutif qui ne peut plus s’appuyer sur un pouvoir d’origine divine. Le personnage-caméléon incarne alors un technicien de la politique ou un professionnel de l’administration dont la vocation consiste à faire marcher la chose publique au-delà des opinions ou des contingences idéologiques. Pour cela, mieux vaut se trouver en un centre politique, mieux vaut être capable de s’adapter et de saisir rapidement les leviers du pouvoir en toutes occasions, afin de rejeter à la périphérie les radicaux et les perturbateurs de l’ordre public. L’authentique anomalie de la vie politique française ne serait pas cette lutte entre «blancs» et «rouges» depuis deux siècles, mais l’émergence d’un centre invisible et pourtant omniprésent.
Qui mieux que le général accomplissant le coup d’Etat du 19 brumaire a perçu cet «extrême centre» lorsqu’il résumait ainsi son programme politique: «Ni talons rouge, ni bonnet rouge»? Ce livre interroge finalement, de façon dérangeante mais nécessaire, la place de Bonaparte, éminent politique, au cœur de la construction républicaine française depuis deux cents ans.

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La république des girouettes
1795-1815 et au delà
une anomalie française: la république de l’extrême-centre

Le sommaire

Du mont des Oliviers
à la caverne de Jotapata
préhistoire de la trahison

PREMIERE PARTIE
Le Transfuge,
figure romanesque et personnage historique
ou… les liaisons dangereuses de l’Histoire
et de la littérature au xixe siècle

Chapitre I: La girouette: figure réelle et anti-héros de papier
I. L’histoire d’un siècle caméléon
II. Mémoires de Girouettes:
naissance d’une figure médiocre dans un genre mineur.
III. «Des Machiavel sans qualités»
IV. La vie de bureau est un vrai roman…
ou les français mythomanes
III. Histoire d’une conversion

Chapitre III: Grands écrivains et petites créatures
I. Balzac, ou… la comédie des girouettes trop humaines
II. Stendhal… ou autant en emporte Lewen

Chapitre III: Quinet… ou l’historien bouleversé
I. Confession d’un doute
II. La Révolution trahie
III. Mirabeau, au tribunal du juge historien
IV. Le vrai Machiavel ou la vertu calomniée
Épilogue: France… 1945: Jules Isaac,
un juste au pays des francisques en poche
et des vestes retournées

SECONDE PARTIE
Naissance d’une figure politique française:
la girouette

Chapitre IV: 1814-1816, météo politique instable:
régimes à tous vents
I. Avril 1814: les «Judas» entrent en scène
II. La drôle de Restauration
III. Les Cent-Jours
IV. Fiction ou réalité d’un Empire libéral?
V. Juillet 1815… Le retour du roi, «quand même»…

Chapitre V: La girouette
Quand Le Nain Jaune et sa cohorte
tiennent 1814-1816, météo politique instable
sur les fonts baptismaux…
I. Une bataille de… «Nains» pour une controverse géante
II. Le Nain Vert et la farce féroce:
ou, à droite, rira bien qui rira le dernier…
III. Le Dictionnaire des Girouettes
IV. La queue de la girouette

Chapitre VI: Contre-figures de la girouette
Nouveaux travestissements
ou visages adultes de la politique…
I. Épurer?… Épurons!
II. Les «contre-girouettes»… ou les sauveurs de l’État
III. Les braves à l’assaut…
IV. Antonelle le précurseur et Jullien le conciliateur
ou… un nouveau jacobinisme
en accord avec la société civile
V. Où il est question, encore, et non pour la dernière fois,
des «Modérés» et du Centre
Épilogue: la girouette ou la modernité empoisonnée
«Néo-caméléons» Ultras, censeurs, homes du juste milieu

Troisième partie
De Thermidor à L’Empire,
le compromis dans l’intransigeance?…
ou la République de l’Extrême-Centre
et l’origine de l’anomalie française

Chapitre VII: Brèves histoires des girouettes
Des guerres civiles de religion
à la guerre civile de la Terreur
I. La girouette au temps des rois
II. La Révolution ou l’entrée en scène du Janus bifrons

Chapitre VIII L’an III ou la République recentrée
Des transfuges aux honnêtes gens…
ou comment passer de la République
des renoncements à la Cité de l’ordre public
I. Où les historiens de l’an III
s’accordent sur la présence des girouettes…
et s’opposent sur la direction des vents dominants!
II. À qui sommes nous?…
III. Ferme opinion du peuple
contre versatile opinion publique
IV. Germinal an III: Un honnête homme
contre des honnêtes gens,
ou Carnot face à Siéyès et consorts…

Chapitre IX: Du Directoire au Consulat:
Un laboratoire pour une idéologie de l’extrême centre
I. Il est temps de s’expliquer sur l’«extrême centre»
II. La controverse Adrien Lezay Marnésia-
Benjamin Constant
III. Inventer le Centre
IV. Bonaparte ou la quintessence d’une République du centre,
contre les bonnets rouges et les talons rouges
Conclusion: La République toujours plus au centre…
jusqu’à sa perte?

Chapitre X: L’empire du milieu
I. Une résistante: Madame de Staël
et ses considérations sur la Révolution Française
II. Thibaudeau… ou le préfet de Marseille,
en «jacobin poudré» impérial
III. Fiévée, penseur de l’Empire des intérêts…
contre la Révolution des opinions
IV. Constant… «et vogue la galère»…
V Napoléon-Bonaparte…
ou le mémorial de l’Empereur Janus

Épilogue
Variations dramatiques sur un même sujet
Les girouettes d’une épuration à l’autre….

Conclusion
La girouette, une figure du passé… jamais dépassée

Bibliographie


Revue de presse

     Le Monde du vendredi 27 mai 2005

Vents changeants
Le « centre », de la Révolution à la Restauration

Pierre Serna ouvre de façon originale et convaincante les voies à l’explication d’une culture politique à la française submergée par les extrêmes, de droite comme de gauche, au point d’avoir laissé peu de place dans la mémoire collective aux partisans de ce qu’il appelle le  » centre « , à ceux d’un parti  » médian « ,  » mixte « , d’une troisième force dont la marque de fabrique serait celle de la raison et de la modération.
La figure allégorique qui dans l’histoire a largement contribué à cette occultation est celle de la girouette. L’homme-girouette est le traître par excellence, le corrompu, le transfuge de toutes les causes, une sorte de sangsue du pouvoir qui s’épanouirait sur le cadavre de l’intérêt général. Si le motif de la girouette apparaît en 1815 avec le dictionnaire du même nom publié en juillet par le publiciste Alexis Eymery, à l’issue des convulsions politiques inhérentes à la succession rapide des régimes – quatre en un peu plus d’un an, et autant de serments – celui-ci traverse toute notre histoire politique et sociale. Autour de l’image polémique de la girouette – et du vent toujours changeant qui l’accompagne – s’agrègent comme à un aimant autant de questions qui sont celles d’un XIXe siècle lent à terminer la Révolution : celle des rapports de l’éthique à la politique, de la meilleure république possible et de la meilleure façon de la servir.
La rupture de 1789, la transformation d’une société d’ordres et de corps en autant d’individus citoyens isolés, la désagrégation des anciennes valeurs engendrent de l’inquiétude, et de cette inquiétude naît la controverse.

Contre-figures

En remontant le cours de l’histoire, de la Restauration au Directoire, en entrecroisant ses sources – littéraires et politiques – en convoquant une foule de textes peu connus voire méconnus, Serna nous invite à saisir tous les enjeux d’une histoire culturelle du politique à partir d’une simple figure de combat. Celle-ci, comme en une efflorescence, engendre autant de contre-figures qui toutes apportent des éléments de réponses à la question centrale de la construction de l’Etat comme de l’inclusion du social au politique. De ces contre-figures restées dans l’ombre, Serna exhume l’histoire enfouie de la conversion face à la trahison, de la transition face à la rupture, de la modération face à la violence, en esquissant une lecture fine, neuve et convaincante d’une écriture politique précisément marquée au fer rouge du chiffre de nos antagonismes, de nos clivages et de notre dualité. Ce nouvel opus du biographe d’Antonelle (éd. du Félin, 1997) vaut mieux que son sous-titre. Derrière la notion d' » extrême centre « , paradoxale et volontairement provocatrice, on trouvera des trésors de science et de subtilité.

Emmanuel de WARESQUIEL

Biographie

Pierre Serna est maître de conférences à l’Université Paris-I. Il a publié Antonelle, aristocrate révolutionnaire (1747-1817) (Félin, 1997) et avec Pascal Brioist et Hervé Drévillon, Croiser le fer. Violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle) (Champ Vallon, 2002).

République des girouettes (La) – Pierre Serna 2005
Paru le 15 mars 2005
14 x 22 cm, 574 pages
ISBN 2.87673.413.3
29 €

GUILLAUME MAZEAU Le bain de l’histoire

GUILLAUME MAZEAU Le bain de l’histoire

Charlotte Corday et l'attentat contre Marat (1793-2009)
Préface de Jean-Clément Martin

Marat a-t-il été assassiné par Charlotte Corday, ou par les historiens eux-mêmes ? L’événement, pris dans les tourbillons de la mémoire depuis le 13 juillet 1793 et longtemps rejeté par les historiens universitaires, ne fut très vite ressenti qu’à travers la figure de Corday et a fini par s’échouer sur les rives incertaines du patrimoine antirépublicain. Ce sont les pilleurs qui semblent aujourd’hui avoir gagné la bataille du passé, bradant les restes aux mieux-disants : Marat est mort une seconde fois, noyé sous le charisme encore exercé par Corday, transformée en énième figure de la société compassionnelle. Prendre parti au sein des débats mémoriels, ce n’est pas seulement retrouver les sources politiques du fameux attentat. C’est aussi inviter le lecteur à remonter le cours de la mémoire et accepter de plonger, avec Corday, Marat et leurs historiens, dans le grand bain du passé.

Revue de presse

Jacques Guilhaumou, « Guillaume Mazeau, Le bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat (1793-2009) », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 30 | 2009, mis en ligne le 01 février 2010, consulté le 22 août 2016.

Emmanuel Fureix, « Bain en eau trouble », La Vie des idées , 30 septembre 2009. ISSN : 2105-3030

LE MONDE DES LIVRES — Thomas Wieder — 16 juillet 2009

Biographie

Docteur en histoire, ancien élève de l’ENS-Lyon, Guillaume Mazeau enseigne à Lens. Il a publié Charlotte Corday et la Révolution française en 30 Questions (Geste). Il est commissaire de l’exposition Corday/Marat. Les discordes de l’histoire, qui se tiendra au Musée de la Révolution française de Vizille (Isère) du 26 juin au 26 septembre 2009.

Bain de l'histoire (Le) – Guillaume Mazeau 2009
Parule 29 mai 2009
14 x 22 cm, 464 pages
ISBN 978-2-87673-501-9
29 €

ARNAUD GUINIER L’honneur du soldat

ARNAUD GUINIER L’honneur du soldat

Éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières (1748-1789)

Au lendemain de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), la France s’engage dans une réforme de son appareil militaire que les défaites de la guerre de Sept ans viennent accélérer et qui se poursuit jusqu’à la Révolution. Dominées par la volonté d’améliorer l’efficacité de l’armée française, ces transformations aboutissent à une emprise sans précédent sur les corps des soldats, plus que jamais réduits au rang d’automates. Cette évolution favorise par contrecoup une réflexion nouvelle, menée en particulier par les officiers français, afin de substituer à la seule contrainte mécanique le principe d’une discipline consentie fondée en particulier sur la mobilisation d’un sens de l’honneur reconnu au soldat. À travers la mobilisation des corps, c’est ainsi le statut moral et politique de l’homme du rang qui est finalement repensé.

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L’honneur du soldat: éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières (1748-1789)

Le sommaire

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE
Ordre tactique ou tactique de l’ordre ?

Chapitre 1. Cohésion et mouvement : une difficile conciliation

1. De l’art des dispositions
2. En avant, marche…
3. Régler le tir
4. La vitesse : paradoxe d’un nouveau paradigme

Chapitre 2 : La tactique, une science exacte ?

1. « Une démonstration de géométrie »
2. Les aléas de la pensée mécaniste
3. Expérience et mathématisation empirique
3. Insuffler le courage ou maîtriser la peur ?

Chapitre 3 : Tactique et culture

1. Theatrum belli
2. L’idéal du « paraître discipliné »
3. L’économie du risque

Chapitre 4 : Du primat de l’ordre à celui du mouvement : une mutation paradigmatique à la veille de la Révolution

1. Une question d’échelle
2. L’ambition d’une guerre de mouvement
3. Tactique régulière et petite guerre :
des influences croisées
4. Le sentiment du fer
5. Au-delà de la tactique : le poids nouveau des passions

DEUXIÈME PARTIE
Dresser les corps

Chapitre 5 : Modeler les corps au gré des exigences tactiques

1. Disposer les corps
2. Manier son arme
3. Apprendre à marcher

Chapitre 6 : Dynamiser les corps

1. La raideur ou la grâce
2. Corps naturel, corps dynamique ?
3. De la belle posture à la bonne position : spécificité du corps cavalier
4. Développer les compétences individuelles
5. Endurcir les corps

Chapitre 7 : Du dire au faire :
l’enjeu des modalités pratiques de l’exercice

1. Cadre, rythme et acteurs
Organiser l’apprentissage
Le pain quotidien du soldat
De l’importance des instructeurs
2. Le poids des contraintes matérielles
S’exercer sans poudre ni balles
Salles d’exercice et manège : des infrastructures inégales
Des exigences foncières grandissantes
Au-delà des contraintes matérielles, le poids des stratégies individuelles
3. L’inlassable quête de l’uniformité
Du règlement à la pratique : une affaire d’interprétation
La tentation d’une formation centralisée
L’avenir est dans les camps

Chapitre 8 : Vers un nouvel idéal pédagogique

1. Du bon usage des automatismes
2. La recherche d’une emprise indirecte
3. Pouvoir de la norme et exercices joyeux

TROISIÈME PARTIE
Repenser l’obéissance

Chapitre 9 : L’ambition d’une discipline morale

1. Le rejet de l’universalisme disciplinaire
2. Concilier honneur et discipline
3. La part la plus vile de la nation : la question du recrutement
4. La discipline comme projet d’éducation
Le siècle du sensualisme
De la possibilité de nécessiter le soldat aux actions héroïques
Le rêve d’une éducation précoce et étatique
Un matérialisme moins philosophique que pragmatique

Chapitre 10 : Un nouveau droit de punir

1. L’arbitraire, instrument d’une justice circonstanciée
Le flou juridictionnel
Le poids des châtiments extra-judiciaires
Une pédagogie de l’exemple
2. La défense d’un nouveau régime de juridicité
De la loi des despotes au despotisme de la loi
De l’arbitraire confisqué à l’arbitraire contesté : action et limite de la politique royale
3. Repenser l’infamie : la matrice de la désertion
La punition des déserteurs en débat : critiques et projets de réforme
Nommer l’infâme : un enjeu politique
4. De la punition corporelle à la peine d’opinion :
l’enjeu des sanctions disciplinaires
Honneur et punitions corporelles  une impossible conciliation ?
De la privation de liberté aux peines d’opinion, la recherche de sanctions disciplinaires alternatives

Chapitre 11 : Du contrôle à l’émulation  :
repenser le lien communautaire

1. Un individu isolé
Livrer le soldat à toute la sévérité des lois
Cloisonner les corps, contrôler les flux
De l’identification à l’individuation
2. Entre esprit de corps et insertion nationale :
l’idéal d’un contrôle intériorisé
Ne faire qu’un des volontés individuelles : l’enjeu de l’esprit de corps
Du cloisonnement à l’insertion : le nouvel idéal du soldat-citoyen
3. Une nouvelle communauté morale
L’impossible résurrection de la foi
La virilité comme injonction
Amour de la gloire et esprit de sacrifice

Chapitre 12 : Les ressorts de l’émulation :

1. Réhabiliter le militaire
Améliorer les conditions du service
Récompenser l’ancienneté
Naissance des héros subalternes
2. La récompense comme facteur de mobilisation individuelle
Se distinguer en temps de paix
Se distinguer en temps de guerre
Valoriser le sacrifice anonyme : poids des blessures et récompenses collectives
3. L’avancement, une forme possible d’émulation ?
Le soldat juge de ses pairs : la question de l’élection
Une ouverture en trompe-l’œil : l’accès à l’épaulette

CONCLUSION
De l’honneur du rang au citoyen-soldat

ÉPILOGUE
Du citoyen-soldat au soldat-citoyen :
retour aux Lumières ?


Revue de presse

L’honneur du soldat: éthique martiale et discipline guerrière dans la France des Lumières (1748-1789)

L’Histoire avril 2012

Soldat-citoyen

C’est de la construction de l’individu moderne, sujet situé dans un équilibre fragile entre contrainte et liberté, qu’Arnaud Guinier traite dans ce travail qui innove en réintroduisant un paradigme militaire qui faisait jusqu’ici cruellement défaut à ce sujet profondément politique. Sous la plume des officiers de la France des Lumières, la critique de l’idéal triomphant d’une armée-machine faite de soldats-automates aux corps dressés et à l’obéissance passive, inspiré d’un modèle prussien mythifié, donna naissance à une nouvelle conception disciplinaire, fondée sur une formation morale du soldat, d’où découlerait son adhésion volontaire aux impératifs disciplinaires nécessaires à un ordre tactique renouant avec la vitesse et le mouvement. La confrontation de ces deux modèles résultant de nouvelles préoccupations tactiques façonne alors l’idéal d’un soldat-citoyen, dont l’honneur constitue le nouveau fondement.
En montrant que ce modèle fut une des conditions de la rupture révolutionnaire qui forgea à son tour le nouvel idéal de citoyen-soldat, dont l’enjeu était désormais de contraindre un individu souverain, ce travail remarquable met en lumière les origines militaires de la Révolution française.

Biographie

Agrégé d’histoire et ancien élève de l’École Normale Supérieure, Arnaud Guinier est actuellement pensionnaire à la Fondation Thiers et rattaché à l’Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine.

Honneur du soladt (L') – Arnaud Guinier 2014
Paru le 20 novembre 2014
14 x 22 cm, 320 pages
ISBN 978-2-87673-992-5
28 €

JULIE GRANDHAYE Russie : la République interdite

JULIE GRANDHAYE Russie : la République interdite

Essai d'histoire politique: XVIIIe-XXIe siècle

À travers une relecture des projets constitutionnels des décembristes, ces jeunes aristocrates militaires russes qui fomentèrent un coup d’Etat le 14 décembre 1825 pour obtenir une constitution du futur Tsar Nicolas 1er, Julie Grandhaye entreprend de rendre compte de la densité de la pensée politique qui émerge en Russie entre 1770 et 1830, et de l’émergence de la république autocratique.
Plusieurs approches se croisent dans ce travail brillant  – histoire, science politique et anthropologie politique – pour saisir pleinement ce moment fondamental où la Russie entre en modernité politique. L’enjeu est d’importance : en mettant au jour les fondements de l’idée de la res publica à l’aube du XIXe siècle, l’auteur donne des clés de lecture pour comprendre, par-delà les ruptures politiques évidentes et soudaines, les éléments de la culture politique russe au début du XXIe siècle. Car si les difficultés auxquelles les décembristes se heurtent – immensité du territoire national, définition de la citoyenneté, modalités de la représentation… – se voient apporter des réponses caduques, les questions que ceux-ci soulèvent ne peuvent être éludées pour comprendre la Russie contemporaine. Cet essai d’histoire politique jette ainsi les bases d’une histoire anthropologique du politique, afin d’éclairer, sous un jour nouveau, les problèmes auxquels se heurte la république russe aujourd’hui.

Biographie

Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, Julie Grandhaye est docteur en histoire et agrégée de russe. Elle enseigne le russe au Lycée du Parc à Lyon.

Russie : la République interdite – Julie Grandhaye 2012
Paru le 23 février 2012
14 x 22 cm, 384 pages
ISBN 978-2-87673-569-9
26.40 €

FABRICE ERRE Le règne de la poire

FABRICE ERRE Le règne de la poire

Caricatures de l'esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours

Composante singulière du débat démocratique depuis deux siècles, la satire politique fait régulièrement l’objet de vives controverses. La caricature en poire de Louis-Philippe constitue un élément fondateur de cette tradition française, saluée en son temps par Victor Hugo ou Stendhal, et figure à ce titre au cœur de nombreuses études et expositions au début de notre XXIe siècle. Son succès exceptionnel invite à la considérer non comme un détail mais comme un objet historique. En  antithèse du soleil louis-quatorzien, cette « Poire de processive mémoire » (Baudelaire) incarne une certaine idée de la civilisation bourgeoise, dont le triomphe nourrit encore aujourd’hui l’animosité des satiristes.

Revue de presse

LIVRES HEBDO (22 avril 2011)

L’histoire en forme de poire

Fabrice Erre raconte comment ce fruit est devenu la caricature de la bourgeoisie.
Pourquoi la poire? Pourquoi cette forme associée au visage de Louis-Philippe est-elle apparue au début de la monarchie de Juillet (1830-1848) au point d’en devenir la représentation subliminale? Ces questions ont fourni au jeune historien Fabrice Erre (né en 1973) la matière d’un livre très original qui entraîne le lecteur du côté de la caricature politique.
A l’origine de ce dessin, il y a non pas Daumier mais Charles Philipon. L’homme possède un culot monstre, un sacré coup de crayon et il crée deux périodiques, La Caricature et Le Charivari, qui feront beaucoup pour le succès de cette histoire en forme de poire. Autour de cette image piriforme se construisent une identité et une conscience de classe. La poire, c’est le bourgeois, le «Philipotin», mélange de Louis-Philippe et de Félix Potin – qui ne connaîtra le succès qu’à la fin du XIX’ siècle –, dont l’archétype est justement l’épicier. Mais la caricature vise aussi les grosses légumes de la politique. Le «juste milieu» prôné par Louis-Philippe devient le ventre. «Après le bourgeois, le juste milieu se calque lui aussi sur un contour en forme de poire.» Le roi succombe à la dégradation. L’identification du souverain et de son régime à une poire devient familière aux Français. Le grotesque affiche le vrai. La «poire tyrannique et maudite» – dixit Baudelaire – s’affirme comme la représentation d’une politique. La poire se transforme en boulet pour la France. Aussi un désir de contestation, face à un pouvoir impuissant se fait jour. C’est ainsi qu’apparaissent des poires-graffitis sur les murs de Paris, une sorte de motif vivant appelé à un bel avenir. L’objet satirique devient symbole. Helmut Kohl puis Edouard Balladur seront aussi, par la suite, caricaturés en poires…
En appui de sa démonstration sémiologique, Fabrice Erre cite des extraits de nombreuses œuvres littéraires oubliées, des pièces, des articles ou des poésies et propose bien sûr nombre d’illustrations de ces ventrus et repus incarnant les bourgeois du Parlement. « Bien qu’étant devenu le pivot de la société moderne, notamment sous la monarchie de Juillet; premier régime “bourgeois” ou identifié comme tel, il traîne derrière lui la marque infâmante du ridicule.» Souvenons-nous de la publicité de la Renault 14 dans les années 1970 avec sa forme de poire qui annonçait son échec commercial… auprès des bourgeois justement.
Au fil du temps, la poire signifie «attention virage bourgeois». Il n’est pas dit que nous soyons sortis de l’ère de la poire… En tout cas, le lecteur suit avec avidité cette épatante exploration d’une image qui a presque traversé deux siècles… Quant à l’expression « passer pour » ou «être » une poire ausens de niais, elle apparaît plus tard, dans les années 1880, chez Courteline, allusion à la mollesse du fruit mûr qui tombe tour seul de l’arbre comme le dupe tombe dans le piège qui lui est tendu…

Laurent LEMIRE

PAGES DES LIBRAIRIES
(avril-mai 2011)

Poire bourgeoise
Le Règne de la poire, de Fabrice Erre, est un brillant esai d’histoire politique et culturelle sur la satire politique, élément clé de la vie politique française… qui ne date pas d’hier.

Fabrice Erre n’est pas seulement un auteur de bandes dessinées (Le Roux, La Mécanique de l’angoisse), il est également docteur en Histoire et a écrit une thèse sur la satire politique. On retrouve dans cet essai sur la poire comme caricature politique, le sérieux, l’érudition qui caractérise habituellement le genre. Sans parler des multiples illustrations qui rendent le propos parfaitement clair et intelligible. À l’époque de la monarchie de Juillet (1830-1848), La Caricature était un journal satirique dont le tirage était assez important. Il avait été créé par Charles Philipon dans le but de défendre la liberté d’expression. Et c’est dans ce journal qu’est née la seule image qu’aujourd’hui encore les Français associent à la monarchie de juillet: la poire. La poire bien sûr, c’est Louis Philippe, c’est la caricature du bourgeois dans toute sa splendeur. Mais pourquoi la poire? C’est tout l’intérêt de cet essai que de décortiquer avec précision pourquoi la poire s’impose comme figure emblématique du régime, et comme étendard de la fronde satirique. La poire, c’est le bourgeois, le ridicule, «l’épicier ventru». L’épicier étriqué à l’esprit hideusement calculateur, obséquieux avec ses clients, ventru et gras du bas qui se laisse guider par son ventre, cynique et satisfait. Ce qui est fascinant, c’est le succès que cette image du bourgeois et de Louis-Philippe symbolisé par la poire a eu auprès des français. Simple et efficace ce symbole perdure encore aujourd’hui. Giscard d’Estaing était représenté comme une poire à l’envers. Quant à Balladur, il raviva les souvenirs d’un passé monarchique mis en évidence par les satiristes qui le caricaturèrent sous la forme d’une poire, alors que Chirac était symbolisé par un poignard. Bref, la satire politique est bien un «fragment de notre culture», comme l’écrit très justement Fabrice Erre.

Noémie Vérot

LE MONDE (10 juin 2011)

Le bourgeois est une bonne poire

En septembre 1831, au coin d’un dessin du journal La Caricature, apparaît un graffiti piriforme associé à Louis-Philippe, roi des FranÁais. Le succès de cette représentation est prodigieux : les images, les articles, les références littéraires, picturales, thé‚trales, les chansons, tous les supports se conjuguent bientôt pour transformer la poire en fruit le plus célèbre de la vie politique.
Fabrice Erre n’est pas le premier à pointer cet extraordinaire succès, mais, dans un essai brillant, vivant, amusant, appuyé sur les citations et les illustrations d’époque, il fait oeuvre inédite en suivant cette représentation dans tous ses développements. Mieux encore : son travail permet de comprendre, au plus près des sources, comment, par enchâssements successifs, parfois naturels, parfois complexes, se construit l’image d’un pouvoir, d’un régime, d’une civilisation.
Pourtant, les rois de France n’avaient jamais eu à se plaindre de la poire. Au contraire, le fruit faisait partie du décor du sacre, à Reims, o˘ le maire offrait au monarque « vins de Champagne et poires de rousselet ». Charles X, six ans avant la première offensive piriforme, bénéficie encore de la corbeille de fruits. La poire, sous le qualificatif de « molle » ou de « pourrie », navigue plutôt dans un registre associé au paysan qui a réussi. Elle ne désigne pas encore le roi imbécile…
C’est dans La Caricature du 26 janvier 1832 que Charles Philipon consacre l’image de Louis-Philippe en poire : en quatre « croquades » successives sur une même planche, le visage du roi se dégrade en fruit. Pourquoi la poire s’associe-t-elle brusquement à Louis-Philippe ? C’est en croisant les sources, les généalogies, les interprétations, jusqu’à obtenir un jouissif effet de saturation – une méthode historique que l’on pourrait comparer à l’accumulation hystérique des gags propre à certains films de Blake Edwards (The Party, par exemple) – que Fabrice Erre répond à cette question.

Le contexte joue son rôle : la liberté d’expression, garantie par la charte adoptée en 1830 par la monarchie de Juillet, permet à un flot de critiques de se déverser sur le pouvoir, par la multiplication des journaux satiriques, notamment illustrés de caricatures, faisant appel à des plumes ou à des stylets acérés – Balzac, Daumier, Desnoyers, Grandville… dans La Caricature, puis Le Charivari, créés par Philipon. Ce n’est qu’en 1835, après que le roi a échappé à un attentat, que la censure va mettre de l’ordre dans ces attaques contre Louis-Philippe.
Le motif de la poire est énigmatique, mais ce mystère même est stimulant pour l’historien. Il s’identifie d’abord à la base sociale du régime, le bourgeois, descendant du paysan parvenu, entre « épicier » et « ventru ». Fabrice Erre pointe ici un phénomène récurrent : comme les aristocrates avaient fait le succès de Figaro, en 1784, se moquant d’eux-mêmes et de leurs privilèges, ce sont les bourgeois – dont Philipon, self-made-man dirigeant ses journaux comme des entreprises performantes – qui se montrent les plus vindicatifs dans la satire de leur propre condition. Cette poire est ensuite la représentation d’une idéologie, celle du « juste milieu », « fureur modérée » qui, depuis l' »enrichissez-vous » de Guizot jusqu’aux doctrinaires soutenant Louis-Philippe, donne son fondement politique au nouveau régime. L’approche graphique de ce « juste milieu » fait alors naître sous les pinceaux la « boulette », contour de profil bourgeois, plus large que haut, qui est déjà, sans le savoir, une construction piriforme.
Enfin, lors de plusieurs procès, de 1831 à 1833, Louis-Philippe finit par s’identifier à la poire. Au début, il n’est que « la chose », ou encore « Monsieur Chose », car les caricaturistes, contraints par la législation, n’ont pas le droit de montrer ses traits « de manière reconnaissable ». Il leur faut forger une autre représentation, qui puisse échapper aux censeurs. On dessine « Quelqu’un », « Il », « Monsieur Juste-Milieu », même « Lolo-Phiphi », mais surtout « Chose », comme on dirait « untel » ou « machin ». La poire n’est que le stade ultime de « Chose » : la chosification du roi débouche sur sa fructification, même sa pirification. Retour ironique de la tradition des deux corps du roi, l’un, traits du souverain protégés par la loi, auxquels personne n’est supposé toucher ; l’autre, corps allégorique, symbolique, formel, donc plastique, engendrant rapidement toutes les déformations. Condamner une poire, ce serait donc reconnaître que le monarque y ressemble…
Désormais, la poire est lancée : ses propriétés plastiques comme ses vertus comiques en font le fruit du succès. On les compte par milliers, corps métonymique et envahissant de l’esprit bourgeois chez Dumas, Flaubert, Stendhal, Hugo (une scène mémorable des Misérables), comme sur les murs de Paris o˘ le graffiti populaire devient motif du paysage urbain. Ce sont bientôt les représentations étrangères qui s’en emparent pour brocarder leur propre pouvoir, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, en Suisse.
Puis la poire voyage dans le temps, la forme se saisissant au passage de Thiers, pour s’arrêter ensuite sur les traits d’Edward Heath outre-Manche, de Nixon outre-Atlantique, d’Helmut Kohl outre-Rhin, et chez nous de Pompidou, de Giscard d’Estaing (à l’aspect inversé : « Une poire à l’envers, du Philippe-Louis Design », ironise le romancier Claude Courchay), d’Edouard Balladur. On laissera d’ailleurs la conclusion à Jean-Louis Murat, le chanteur-compositeur d’A Bird on a Poire : « Balladur, de face, c’est la poire Louis-Philippe ; de profil, c’est Louis XVI. C’est le retour de l’Ancien Régime. Comme on dit chez moi, j’y vois pas beau… »

Antoine De Baecque

Biographie

Fabrice Erre est docteur en histoire . Il a participé à l’ouvrage Le Figaro, histoire d'un journal aux Editions du Nouveau Monde et bientôt à La Civilisation du journal à paraître chez le même éditeur. Il est aussi scénariste et auteur de bandes dessinées aux éditions 6 pieds sous terre (Démonax en 2006, Le Roux en 2007, La Mécanique de l’angoisse en 2011).

Règne de la poire (Le) – Fabrice Erre 2011
Paru le 20 mai 2011
14 x 22 cm, 272 pages
ISBN 978-2-87673-548-4
23.50 €

DÉBORAH COHEN La nature du peuple

DÉBORAH COHEN La nature du peuple

Les formes de l'imaginaire social (XVIIIe, XXIe siècles)

Grâce au vivant fourmillement des archives judiciaires, l’auteur étudie comment les catégories populaires du XVIIIe siècle français se sont pensées elles-mêmes comme groupes et comment les individus jusque dans leur rapport le plus intime à leur corps ont construit une image d’eux-mêmes. Mais la manière dont les classes populaires se pensent et se vivent dépend de la manière dont elles sont pensées et parlées par ceux qui ont le pouvoir de définir les places et les parts, par les élites.
La Nature du peuple est donc également une histoire intellectuelle des types de discours (académiques, moralisants, discours de l’économie politique naissante…) et des types de porteurs du discours sur les catégories sociales.

Revue de presse

Libération — Que demande le peuple, par Jean-Yves Grenier, 3/6/2010

La Vie des idées — Le peuple et son miroir, par Raphaël Barat, 6/10/2010

Annales historiques de la Révolution française — par Jean-Pierre Jessenne, avril/juin 2012

La Revue Historique — par Sarah Maza, 2011/4

Le Matricule des anges — par Gilles Magniont, 07/2010

Biographie

Ancienne élève de l’ENS, agrégée et docteur en histoire, Deborah Cohen est maître de conférence à l’Université de Provence. Elle travaille sur la question du peuple, de l’identité, de la parole populaire au XVIIIe siècle essentiellement.

Nature du peuple (La) – Déborah Cohen 2010
Paru le 25 mars 2010
14 x 22 cm, 448 pages
ISBN 978-2-87673-526-2
27 €

JEAN-LUC CHAPPEY Ordres et désordres biographiques

JEAN-LUC CHAPPEY Ordres et désordres biographiques

Dictionnaires, listes de noms et réputation des lumières à Wikipédia

De la fin du XVIIe au début du XIXe siècle s’étend l’âge des dictionnaires marqué par le succès éditorial de genres particuliers et la formalisation d’une pensée classificatoire qui tend à prendre pour objets tous les éléments du réel. Les dictionnaires et les listes s’imposent dès lors comme de nouveaux supports de lecture du monde politique, social ou culturel, un phénomène auquel semble faire écho aujourd’hui le succès de Wikipédia. Or, sous des formes les plus diverses, la mise en liste des hommes, au même titre que celle des plantes ou des animaux, a constitué un événement majeur entre le XVIIIe et le XIXe siècle, soulevant des questions qui résonnent encore aujourd’hui. Des dictionnaires historiques aux nombreuses listes de noms qui envahissent l’espace public, il s’agit toujours d’opérations de qualification et de disqualification, de réputation ou de stigmatisation. La période révolutionnaire offre un laboratoire d’observation privilégié pour saisir les effets de ces listes qui servent autant à inclure les citoyens qu’à exclure les ennemis, en un monde où les repères traditionnels liés à la naissance et aux privilèges naturels ont volé en éclats. L’analyse des conditions de la prise de contrôle de ces listes, l’étude des modalités à partir desquelles se construit l’autorité sur l’écriture des notices biographiques, proposent ainsi des clés qui rendent possible l’étude des dynamiques politiques, sociales et intellectuelles qui se jouent dans et par le biais de véritables guerres de dictionnaires et batailles de noms.
Du Grand dictionnaire de Moréri où s’établit la réputation nobiliaire à la fin du XVIIe siècle à l’entreprise de remise en ordre menée par les rédacteurs de la Biographie universelle ancienne et moderne au début du XIXe siècle où se fonde l’ordre bourgeois , cet ouvrage se propose d’interroger les effets de ces productions, trop souvent canonisées, en les replaçant dans leur contexte de production  tout en mettant au jour les intérêts de leurs auteurs. Souvent méconnus, ces « faiseurs » de dictionnaires ou de listes constituent les objets centraux de cette analyse. Ces ouvrages  tentent en effet d’imposer un ordre biographique à partir duquel se fixent les positions, les statuts et les réputations. On comprend dès lors que créer du désordre en falsifiant, travestissant ou en jouant sur son nom, peut constituer, avec l’avènement de l’individu-citoyen, à l’heure de la genèse et de l’extension de la sphère publique, un moyen de défendre l’intégrité, de plus en plus menacée par l’émergence d’une véritable biocratie, de son propre récit biographique. À l’heure de Wikipédia, cette archéologie du Who’s Who de la société révolutionnée s’impose comme une réflexion politique et critique sur les systèmes de reconnaissance des individus en profondes mutations.

Lire le sommaire

Ordres et désordres biographiques:
dictionnaires, listes de noms et réputation des lumières à Wikipédia

Le sommaire

INTRODUCTION
Approches d’un corpus invisible

Remerciements

Chapitre 1.
Une invention du XIXe siècle:
la Biographie universelle des frères Michaud

I. Contours et organisation d’une entreprise éditoriale
Les Michaud : des éditeurs royalistes… soucieux de leurs intérêts
Des collaborateurs choisis parmi les « meilleurs »
Un modèle de salon mondain
La biographie universelle et la presse
ii

II. Entre collectes et écritures :
Les modalités du travail biographique
Les forçats de l’écriture biographique
Biographie et bibliographie
Une sociabilité par la Biographie universelle
Georges Weiss et la Biographie universelle

III. Oppositions et résistances
Madame de Genlis et le refus de conciliation
Prudhomme contre Michaud. Le xviiie contre le xixe siècle ?
Les dictionnaires à la barre
La contre-offensive des Michaud

IV. La Biographie universelle et les enjeux
De l’écriture de l’histoire
Normalisation
Canonisation et disqualification
La Biographie et la civilisation française

Chapitre 2.
Dictionnaires au temps des Lumières.
Critique et opinion publique

I. Au temps des hommes illustres
Un dépôt de la gloire
Dictionnaires historiques et académisation
De la réputation à la considération
Le Moréri et l’identité nobiliaire

II. Dictionnaires et république des lettres
Ladvocat et la figure du critique
La promotion de l’auteur
Dictionnaires et correspondances savantes

III. Dictionnaires et conflits religieux
Dictionnaires et jansénismes
Concurrences et interrogations autour du Grand homme

Chapitre 3.
Désordres biographiques et crise politique

I. Une entreprise des lumières :
Le dictionnaire de Chaudon
Chaudon et la conquête d’un nouveau marché
Chaudon et le monde des académies
Des intérêts contradictoires
Le combat de l’abbé Feller contre les « chaudonistes »

II. Décadence littéraire et crise politique
La question de l’invasion de la piétaille littéraire
Les appels à une nécessaire remise en ordre
Les dictionnaires et les batailles littéraires

III. la revanche des pygmées
Le mécénat contre le marché ?
Rivarol et l’anatomiste des réputations

Chapitre 4.
Jeux de noms en Révolution (1789-1794)

I. Le temps des listes
Citoyenneté et publicité du nom
Les noms, rouages du politique
Personnalisation
L’impossible compromis par les noms

II. Une violence par les listes ?
Stigmatisation
Dénonciation et mort civile

III. Héroïsmes en concurrence
Panthéon et dictionnaires : fixer la Révolution
Citoyenneté et distinctions
Héros et martyrs
Les impulsions politiques de la biographie

Chapitre 5 :
L’émergence d’une biocratie (1795-1810)

I. Inventer les terreurs et construire la république
Portraits de buveurs de sang
Martyrologes et mémoire contre-révolutionnaire

II. Savants et brigands. l’impossible stabilisation
De la république directoriale
Panthéons républicains
Les listes contre la République
L’appel au Grand homme

III. Une réorganisation de l’ordre politique et social
Les retours politiques par le dictionnaire
Le Consulat et la pulsion de bilan
La mise en ordre impériale

Chapitre 6.
Batailles de dictionnaires sous l’Empire
et la Restauration

I. Le marché des contemporains
Le succès des girouettes
Biographie et biographés face au régime médiatique
Ménégault ou Maugenet… jeu sur le je ou l’usage de la falsification

II. Dictionnaires et espace politique
Sous la restauration (1820-1829)
Dictionnaire et nébuleuse libérale
Un ultra dans la mêlée biographique
La tentation de l’érudition

III. Les effets sociaux du régime des dictionnaires
Dictionnaire et mythologie impériales
Construire la mémoire
Dictionnaires et « manie correctrice »
Une resaisie de soi par l’écriture biographique

Chapitre 7.
Dicomania et Wikipédia

I. Les dictionnaires et l’écriture
De l’histoire contemporaine
Mutations et retours des dictionnaires historiques entre xixe et xxe siècle
Les dictionnaires historiques et l’historiographie de la Révolution française

II. Les nouveaux supports de publication
Des notices biographiques
Les biographies nationales en concurrence
Un nouveau laboratoire biographique : Wikipédia

III. La révolution française dans wikipédia
Des historiens mobilisés, des universitaires absents
Luttes historiennes dans Wikipédia

CONCLUSION

Sources et bibliographie
Index


Revue de presse

Ordres et désordres biographiques

La Quinzaine littéraire du 16 au 31 juillet 2013
par Maité Bouyssy

Logiques des listes

Voici un livre qui traite des dictionnaires et des listes, du XVIIIe siècle à nos jours, pour signaler surtout comment ces pratiques du dictionnaire et des listes fondent la « biocratie », l’affichage voulu d’une conformité propre aux temps qui voulaient « terminer la Révolution ». La force de l’ouvrage est d’insérer cette structure et la dénonciation dans la dynamique de renon­ciation politique, quitte à ignorer le chantier plus vaste des forces et des faiblesses des camps en présence.

On a plaisir à suivre l’histoire de ces « mon­tagnes » et montages de papier que furent les grands dictionnaires, le Moreri, toujours cité depuis 1681 avec ses cinq éditions lyonnaises, trois hollandaises et trois parisiennes, le Chaudon, moins connu, qui passa pour ami des Lumières alors qu’il émane d’une société qui veut contrer les modes et les fausses valeurs. En effet, la sécu­larisation de la société du XVIIIe siècle n’a pas seulement créé les « Rousseau du ruisseau », elle oppose vivement les charlatans» aux gens qui se veulent érudits et contestent le transfert du salon au monde des lettres. Rachetée et poursui­vie, l’entreprise fut en rivalité avec « la Michaud », célébrissime Biographie universelle ancienne et moderne, partout présente dans les bonnes biblio­thèques aujourd’hui encore.
Or cette gigantesque entreprise de deux frères, grands travailleurs et royalistes, n’avait été, à ce jour, prise en compte comme objet d’étude que dans L’Empire des Muses de Jean-Claude Bonnet (article de Pierre Burger, ici non cité malgré l’abondance des références). L’affaire éditorialement menée de main de maître entre 1811 et 1828 a clos la Révolution et mis en ordre les réputa­tions, et ce selon l’air du temps. Elle a, par exemple, marginalisé plus qu’il ne se doit l’écri­ture féminine, malgré les vives protestations de Madame de Genlis qui osa en publier immédia­tement un Examen critique peu amène. Lorsqu’elle mourut, en 1830, son portrait n’en fut que mieux servi, les femmes prodigues par nature manquant à l’évidence de savoir et de rigueur. Le XIXe siècle politique, intellectuel et social avait sa structure, à preuve la notice sur Robespierre, tyran incons­tant et incohérent à la merci de la populace. Il n’eut pour seule excuse que de n’avoir pas été l’unique responsable. Les formules de « la Michaud » ont dominé le siècle, codifiant et consacrant les renommées.
La Révolution fut le grand moment de la gestion des hommes par listes, au point d’en inventer les tendances et les catégories, car la liste, et c’est là sa force, révèle et crée des logiques, elle donne à voir et rapproche, quitte à briser des fluidités. L’esprit partisan l’anime et s’en nourrit, elle relance donc les dynamiques tandis que le tableau qui fut le genre antérieur ne donne que le pittoresque d’un moment – et un point de vue. Les nombreux recueils, galeries, dictionnaires ou autres généalogies, construi­saient la critique et l’opinion, ils donnaient une certaine idée de la transparence, quitte à accabler la piétaille littéraire qui ripostait en accablant le manque d’imagination de l’ordre alphabétique ; la liste, elle, accuse, elle dynamise le meilleur et le pire. Les « jeux de nom en révolution » (chapitre central) introduisent par « l’éloquence et la raison » au nouvel ordre qui veut fixer la Révolution, la définition du héros rendant modélisable la « biocratie », à savoir l’écriture de soi avec ou sans utilité immédiate, qui veut récuser l’indignité ou se justifier et gagner son élargisse­ment devant le Comité de sûreté générale décidant de ces récits et de la mise en ordre d’une carrière ou d’une action.
La sortie de la Révolution n’eut pas moins de raisons de se présenter selon les attentes du pouvoir de l’heure. Le « demi-monde des lettres parisiennes » argue tantôt du Tribunal d’Apollon et/ou peste contre la politique officielle, qui, avec les prytanées et toutes les mesures d’instruction publique, galvaude « le sanctuaire de la science » pour une « populace indigne de s’en approcher ». Ce fut ensuite le pain quotidien des ralliements qui les nourrit, la « pulsion de bilan » du Consulat, avant les réels succès de la dénonciation des girouettes chères à Pierre Serna, mais la mise en ordre de la nouvelle donne ne fut jamais aussi sys­tématique que dans « la Michaud », quels que fussent les martyrologes de la mémoire contre-révolutionnaire.
Le livre se termine sur les paradoxes de Wikipédia, qui produit un nouveau type de savoir, mais n’est pas pris en compte en tant qu’objet d’étude pour les historiens. Les polémiques peuvent être encore vives quand il s’agit des notices Robespierre ou Marat, auxquelles on pourrait ajouter Barère. Les médiateurs s’en mêlent, mais le recours à « la source », le mot toujours renvoyé aux scripteurs de cette œuvre collective en perpétuel devenir, ne consiste bien souvent qu’en un ouvrage qui fait autorité. Cela ne permet aucunement d’en arriver à ce dont l’histoire, qui est d’abord interprétation et récit, se nourrit. Il est parfois bon de rappeler que l’ar­chive seule, ou le recours à l’archive, ne fait rien à l’affaire quand la trame narrative ne tient pas. Jean-Luc Chappey sait montrer les polémiques, plus que vives, fort de son intérêt pour une histoire culturelle du politique, mais il reste en retrait des pistes entrevues, ne se permettant pas d’enclencher le chantier qui, à partir de ses propres considérations, redonnerait le sens de l’ordre politique de la bibliothèque. Le retour aux tirages et une histoire encore incomplète de l’édi­tion, malgré nombre d’avancées opérées autour de Jean-Yves Mollier, permettra, à la croisée des concurrences dans les définitions arborées ou attribuées au sein du champ des lettres, de mieux saisir comment la narration et ses supports infor­ment conjointement sur la vraie température des tensions politiques en restituant à chacun sa position.
Le paradoxe de ce livre, tout à fait intéressant, tient à l’air du temps, qui ne propose plus qu’une histoire très en retrait dans tous les domaines, car elle a peur de son ombre, peur de paraître inféodée à une idéologie dominante et peur de reproduire les impasses des polémiques d’hier, tout en restant partisane, c’est-à-dire formulée par des réseaux dont on reconnaît les réquisits avouables et ceux qui le sont moins. Misère des petitesses qui en découlent et ne sont pas qu’af­faire de méthode, mais, avec ou sans le poids des réseaux, on a pourtant là ce qui se fait de mieux en ce moment, car ce n’est pas « un livre pour rien », un livre dont on suppose le contenu ou dont la matière se résume à ce que nos chers pro­fesseurs nous assénaient jadis dans la très mandarinale prétention du « comme chacun sait ».

Maïté Bouyssy

Biographie

Jean-Luc Chappey est maître de conférences habilité à diriger des recherches en histoire, il est actuellement rattaché à l’Institut d’histoire de la Révolution française (Ea 127) de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Ordres et désordres biographiques – Jean-Luc Chappey 2013
Paru le 14 mars 2013
14 x 21 cm, 400 pages
ISBN 978-2-87673-600-9
27 €