NONFICTION
(4 mai 2014)
Par un juste retour des choses, il était indispensable que le premier livre entièrement dédié à l’histoire environnementale soit publié chez l’éditeur qui, le premier, a ouvert une collection réservée aux publications relevant de ce champ, en contribuant ainsi à la diffusion de ces travaux dans le milieu de la recherche en France. Par un juste retour des choses, il était indispensable que ce livre soit signé par l’auteur qui, le premier, a créé un enseignement en histoire environnementale à Sciences Po en 2008, et qui a lui-même joué un rôle actif dans l’introduction de ce domaine de recherche, ne serait-ce qu’en assumant les fonctions de directeur de la remarquable collection « L’environnement a une histoire » aux éditions Champ Vallon, dans laquelle ont déjà été publiés les excellents ouvrages de John McNeill, Du nouveau sous le soleil, et de Michael Bess, La France vert clair.
Voilà qui est donc chose faite avec la parution ces jours-ci de Qu’est-ce que l’histoire environnementale ? par Grégory Quénet. Qu’on ne s’y trompe pas : contrairement à ce que suggère le titre trop modeste, l’ouvrage propose bien plus qu’une simple synthèse ou qu’une simple introduction à l’histoire environnementale. Le lecteur y trouvera certes une présentation et une discussion critique des principales contributions faites à ce jour en histoire environnementale – dont chacun a plus ou moins entendu parler dans la mesure où plusieurs best-sellers lui ont permis d’atteindre un assez large public –, mais il y trouvera aussi une histoire intellectuelle et contextualisée des travaux publiés dans le domaine au cours des trois ou quatre dernières décennies, une histoire de l’histoire environnementale depuis la formation de ce courant de pensée au début des années 1970 dans les pays anglo-saxons, une sociologie de la structuration de ce champ disciplinaire et des modalités de son internationalisation, une étude comparative de l’histoire de l’environnement telle qu’elle s’est développée en France après la Seconde Guerre mondiale (sous l’influence de l’Ecole des Annales et notamment de Fernand Braudel) et de l’histoire environnementale anglo-américaine initiée par Roderick Nash et Donald Worster, une interrogation sur les réquisits épistémologiques d’une « histoire totale » qui se voit contrainte de mobiliser des concepts et des méthodes pourtant incommensurables les uns aux autres (ceux des sciences de la nature, d’une part, et ceux des sciences sociales et des humanités, d’autre part), et, last but not least, une réflexion prospective sur une thématique émergente – celle des humanités environnementales – qui, selon l’auteur, « est potentiellement capable de réorganiser les études sur les sociétés et leur environnement et de prendre sous son aile, non seulement l’histoire environnementale, mais aussi toute les disciplines qui font les humanités : le droit, la littérature, l’histoire de l’art, l’anthropologie, la sociologie, la science politique et la philosophie » .
L’ouvrage, on l’aura compris, est d’une exceptionnelle richesse et se lit en outre très agréablement d’un bout à l’autre, étant servi par un style fluide que n’encombrent pas les inévitables et érudites notes de bas de page, ici réduites au strict minimum. Divisé en deux parties comportant chacune trois chapitres, il propose en un premier temps une étude de la formation de l’histoire environnementale comme champ de recherche et de sa lente démarcation par rapport aux domaines connexes de la géographie historique et de l’anthropologie culturelle. Le premier chapitre avance les éléments généraux de définition permettant de fixer à titre provisoire l’identité disciplinaire de l’histoire environnementale. Le second examine les conditions de l’internationalisation de ce courant intellectuel et son éclatement actuel. Le troisième met au centre de son attention le « cas français » – particulièrement digne d’intérêt en ce que, après avoir été l’un des derniers pays à avoir accueilli l’histoire environnementale dans ses programmes des recherche, la France se distingue aujourd’hui comme l’un des lieux les plus dynamiques en Europe . La seconde partie de l’ouvrage présente trois études monographiques, organisées autour des trois thématiques majeures de la recherche en histoire environnementale, à savoir la thématique de l’urbain (dans laquelle se sont illustrés des auteurs comme Martin Melosi, William Cronon et Mike Davis), la thématique de l’impérialisme colonial (qui a fortement contribué au succès de l’histoire environnementale aux Etats-Unis : que l’on songe aux travaux fondamentaux d’Alfred Crosby, repris et développés par Jared Diamond, mais aussi aux travaux de Ramachandra Guha, de Richard Grove et de Mike Davis),et la thématique des changements environnementaux (l’ouvrage pionnier demeurant, ici, celui de Donald Worster sur le Dust Bowl, bientôt suivis par ceux de Richard White, John McNeill et Carolyn Merchant).
Hicham-Stéphane Afeissa